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Neutralité du Net: "principe fondateur d'internet qui exclut toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de l'information transmise sur le réseau" (Wikipédia)

Twitter, la stratégie de la prise d'otage?

OlivierAuber, le dimanche 20 décembre 2009

L'heure est à la discussion sur la "Neutralité du Net". On fait souvent de procès aux méchants Telcos de privilégier tel ou tel service, tel ou tel abonné, et d'installer ainsi un internet à plusieurs vitesses. Sans doute la tentation est grande du côté des opérateurs de télécommunication d'en arriver là pour rentabiliser leurs infrastructures ou répondre aux pressions des gouvernements pour filtrer le Net. Certes, il faut les tenir à l'oeil, mais à l'heure qu'il est, cette dérive n'est encore que prospective.

Il existe par contre dès aujourd'hui des sortes d'infractions à la "Neutralité du Net" qui sont le fait, non pas des Telcos, mais des webservices mêmes, et par leur entremise, de certains acteurs gouvernementaux. C'est sur l'une d'elles, particulièrement intéressante, mais bizarrement très peu dénoncée, que je voudrais attirer l'attention : le système de recommandation de Twitter.




Twitter, l'étendard du "web temps réel"

Le "web temps réel" recouvre un ensemble de pratiques émergentes rendues possibles grâce à des plates formes propriétaires et centralisées de type Twitter ou Facebook, et des réseaux distribués fondés sur des logiciels libres de type Identica. Les micro-messages échangés sur le web temps réel s'imposent depuis deux ans comme de nouveaux vecteurs d'information, de confiance et de recommandations entre usagers du réseau. Google et Bing ne s'y tompent pas ; cette nouvelle forme du web apparaît comme une nouvelle frontière dans le domaine du "search" de l'information "brûlante" comme en témoignent les récents accords avec Twitter pour intégrer ses messages en temps réel dans les résultats de recherche... A l'horizon, c'est un rachat de Twitter par Google qui se profile, car en dépit de son audience exponentielle, le premier ne gagne pas d'argent, ce qui ne l'empêche pas de faire monter les enchères...

Une éthique implicite

Rappelons le principe du web temps réel. Chaque utilisateur qui s'inscrit au service peut "suivre" un nombre quasi illimité d'autres utilisateurs, et peut de même être "suivi" par un nombre tout aussi illimité. Chacun peut émettre des messages limités à 140 caractères comprenant les liens vers des sites web et/ou des "hashtags", c'est à dire des mots clefs librement choisis. Grâce à ces hashtags se créent des conversations qui dépassent le cercle des relations directes de chacun, et dans une certaine mesure la barrières des langues naturelles. Ainsi le grand jeu consiste à inventer un hashtag caractérisant un certain sujet, de le lancer à la cantonade et d'observer s'il est repris par d'autres et si des informations pertinentes sont publiées à cette occasion.

Le fait remarquable du web temps réel est que tous les utilisateurs sont traités a priori sur un pied d'égalité, et s'il émerge une sorte de hiérarchie entre eux, cela tient à la qualité des informations que les uns et les autres font circuler, et au fait que celles-ci soient plus ou moins reprises par d'autres et se répandent ainsi de manière virale (fonction ReTweet). Cette éthique égalitaire est certainement pour beaucoup dans le succès des services tels Twitter et Identica, car elle est le terreau un nouvelle forme de reconnaissance et de confiance réciproque entre utilisateurs.

Bien entendu, il y a un concours implicite, et parfois explicite, entre utilisateurs de Twitter: c'est à qui aura le plus de suiveurs ("followers"). Certains n'y arrivent pas, tandis que d'autres excellent dans ce qui, en langage indigène, s'appelle le "concours de kekettes". Au fond chacun en rit car les règles du jeu sont (étaient) claires et les mêmes pour tous. Rien n'est (n'était) définitivement joué. Le principal est (était) que l'information circule.

Le ver s'insère dans le fruit

Depuis début 2009 dans le monde anglo-saxon et seulement depuis le 19 novembre en France, Twitter a discrètement changé les règles du jeu. Peu d'utilisateurs historiques (présents depuis 2006) l'ont noté car cela ne concerne que les nouveaux inscrits. Ceux-ci se voient en effet proposer de "suivre" une vingtaine de personnes dès leur inscription. Ce n'est d'ailleurs pas seulement une proposition de la part de Twitter mais presque une obligation, car les cases correspondant à ces personnes sont cochées par défaut le formulaire que Twitter présente aux novices ("Suggested Users List" #SUL).

Cela est très efficace car les personnes (physiques ou morales) recommandées par Twitter voient leur nombre de suiveurs augmenter à un rythme effréné. Par exemple, Nathalie Kosciusko-Morizet (@nk_m sur Twitter) a vu son nombre de suiveurs multiplié par plus de deux en une vingtaine de jours à partir du 19 novembre 2009.

MISE A JOUR : depuis le 22 janvier 2010, twitter présente un nouveau système moins opaque mais pose encore problème, en tous cas pour la version française car on y retrouve toujoures les mêmes personnalités politiques...



Comparaison de NKM (recommandée par Twitter depuis le 19 novembre) et Epelboin (toujours non recommandé par Twitter) - TwitterCounter

MISE A JOUR : entre le 19/11 et le 10/01 (date du changement de règle du jeu), le "cadeau" de twitter à NKM se monte à environ 18200 followers

Double jeu

Ce changement de règle du jeu, bien que discret, a produit quelques petits remous de l'autre côté de l'Atlantique. Au final, les quelques célébrités, médias en ligne, blogueurs à succès, entreprises et personnalités politiques, choisis par Twitter ne se sont pas vantés de leur cadeau. Les autres - les concurrents des premiers - n'ont pas tout de suite protesté, de peur sans doute d'être vus comme des jaloux, et espérant peut-être faire un jour partie des heureux élus... Ceux qui ont proposé de l'argent (jusqu'à un demi million de Dollar) pour figurer dans la fameuse liste, ont été catalogués comme ringards.

Biz Stone, l'une des fondateurs de Twitter, s'est expliqué quant à la manière dont était effectué le choix : il s'agit en premier lieu d'un algorithme appliqué à chaque zone linguistique qui sélectionne les twitterers les plus intéressants - sur quel critère, nul ne le sait -, puis d'un tri "à la main" permettant de dégager ceux qui seront recommandés en permanence de ceux qui le seront aléatoirement. L'objectif affiché étant bien entendu "d'aider les novices à se familiariser au plus vite au contact des plus chevronnés".

C'est dans le dernier tri que rentrent en ligne de compte des paramètres politiques évidents. Aux Etats Unis, il est de bon ton de recommander autant de Démocrates que de Républicains. Et c'est ce qui ne tarda pas à être fait. En France, à côtés de Nathalie Kosciusko-Morizet et de Laurent Wauquiez - tous les deux UMP au Gouvernement -, on trouve aussi Benoit Hamon (PS) et Europe Ecologie.

Neuf mois après la modification de la règle de jeu, les heureux élus ont gagné des centaines de milliers de "suiveurs", à raison de 53 000 par semaine sur la branche américaine. Sur la branche français, à en croire les statistiques d'NKM, ce serait plutôt aux alentours de 4 000 par semaine. .

Voyant sans soute à travers le retour de la blogosphère que sa Suggested Users List n'était pas très populaire, Biz Stone a fini par susurrer en octobre 2009 qu'elle pourrait être remplacée par autre chose, et Evan Williams, son associé, a dit en novembre qu'elle le sera, mais sans préciser quand. D'autres au contraire, par exemple Loic Lemeur, qui font partie de l'écosystème Twitter sans en être au centre, poussent à la roue sur la voie de la hiérarchisation. Selon lui, il faudrait que les résultats dans les moteurs de recherche soient triés en fonction du nombre de suiveurs...

Pour ceux qui douteraient du caractère parfaitement délibéré de la démarche de Twitter, voici un document interne.



Propriété privée

Comment reprocher à Twitter cette infraction évidente envers l'éthique implicite du web temps réel? S'agit-il d'une véritable cas de non neutralité du Net?

En toute rigueur, il faut considérer que Twitter est en quelque sorte une "propriété privée" sur laquelle les utilisateurs ne sont que tolérés. L'usage de Twitter est gratuit, et il n'est nulle part écrit que le fournisseur de service est contraint de respecter ne serait-ce qu'un semblant de règle démocratique. Twitter est donc non neutre par essence et il serait insensé de lui reprocher de ne pas l'être.

La stratégie de Twitter est évidemment d'étendre son audience au maximum et de se rendre indispensable, notamment auprès des politiques, afin d'augmenter sa valeur potentielle de revente, à Google probablement.

On reconnait là une technique commerciale fort connue dans le milieu de la drogue: il faut rendre les gens dépendants et constituer des réseaux afin d'augmenter son emprise et être à même de dealer sur un marché le plus vaste possible. La valeur dont il s'agit n'est pas une "valeur d'usage" ou une "valeur d'échange", mais une "valeur d'otage".

Ce jeu est rendu possible dans le cas de Twitter par l'extrême centralisation de son service. : toutes les communications passent par ses serveurs situés quelque part en Californie...

Un autre choix est possible

Il faut souligner qu'il existe une alternative, mais qui n'intéresse personne car elle n'épouse pas le type de Business Model dominant aujourd'hui: le système Identica qui est lui est décentralisé. Les logiciels sur lesquels il s'appuie sont libres. Identica ne peut donc pas agir sur le même levier de la "valeur d'otage" pour se développer. Il est contraint, lui, de développer sur le terrain et avec la véritable implication de tous ses usagers et contributeurs, son effective "valeur d'échange" et "valeur d'usage". C'est évidemment une voie beaucoup plus longue et difficile, mais sans doute beaucoup plus durable. Des projets pour y concourrir voient le jour dans l'indifférence des instances classiques de financement, aussi bien privées que publiques..

Embarras (et marche arrière?)

J'ai tenté d'alerter quelques politiques, notamment NKM, de la prise d'otage dont ils sont les acteurs passifs.
Apparemment, ils ne comprennent pas vraiment ni la situation, ni les enjeux, aussi bien pour leur image que le développement de l'Internet dans son ensemble...

Extrait d'un dialogue avec NKM



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Le dimanche 20 décembre 2009 en fin de soirée, on apprend par Versac que tous les politiques français seraient retirés de la liste des utilisateurs recommandés. Apparemment, c'est une information fausse comme le souligne Florence Meichel.

Une enquête collective est en cours pour déterminer qui sont les personnalités recommandées dans les différentes zones linguistiques du monde.
Une pétition est en court pour tenter de faire cesser la prise d'otage de Twitter... Signez !

A suivre... sur Twitter avec le hashtag #recotwitter


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