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"L'acte de penser et l'objet de la pensée se confondent" Parménide Full Screen | Play Le contenu de ce wiki est Copyleft
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Quand un média devient un médium L’utilisation équivoque des technologies de l’information et de la communication dans la création artistique contemporaine: le cas du net-art. Résumé : Le net-art, bien plus que l’art numérique, bouleverse non seulement les rapports traditionnels entre l’auteur, l’oeuvre et le spectateur, mais les mécanismes même de la circulation de l’art, sa contribution à la culture. Celui-ci pose à l’évidence la question de la relation entre l’art et la technique, la question de la place du spectateur, la question des disciplines de l’art entre elles, et enfin, la question de la place et des fonctions de l’art dans la culture contemporaine. Le net-art est un objet d'étude très original dans le cadre de la réflexion sur les technologies de l'information et de la communication dans la société. Il apparaît important de cerner le potentiel d'inventions techniques et sociales que le net-art génère, au niveau des créations artistiques, des musées, et de la société. Est-il porteur d'interrogations sur l’Internet, d'une critique, ou bien facteur de nouvelles modalités d'intensification des technologies de l'information et de la communication dans la société ? Mots clés : art | Internet | net-art | oeuvres | exposition Introduction générale…………………………………………………………………………………………p.1 Anatomie des oeuvres du net-art…………………………………………………………………….p.13 1. Panorama critique historique et enjeux………………………………………………………………..p.17 a. L’utilisation des TIC dans l’art……………………………………………………..p.18 b. Le « net.art » se manifeste…………………………………………………………p.24 c. Une historiographie partielle……………………………………………………..p.29 2. Construction des oeuvres………………………………………………………………………………………..p.31 a. Structuration des oeuvres, la technique avant l’esthétique………..p.32 b. Les premières explorations de médium………………………………………p.40 c. Filiations entre rupture et continuité…………………………………………..p.48 3. Le visible technologique de l’art sur écran…………………………………………………………..p.69 a. Matériel in situ……………………………………………………………………………..p.70 b. Le net-art comme questionnement du médium numérique………p.73 Conclusion partielle………………………………………………………………………………………………………..p.79 Articulation des processus de légitimation……………………………………………………p.83 1. Les environnements du net-art entre norme et déstabilisation……………………p.86 a. Des oeuvres/sites non identifiables…………………………………p.88 b. Identités numériques………………………………………………………p.92 c. Interactivités interrogées………………………………………………..p.97 2. Le lieu du net-art……………………………………………………………………………………………….p.103 a. Comme représentation de la notion d’exposition…………..p.105 b. Internet en tant que dispositif de médiation………………….p..113 3. Répercutions sur les mondes de l’art………………………………………………………………p.121 a. Circonscrire les oeuvres en ligne……………………………………p.122 b. Le net-art comme objet muséal……………………………………..p.135 Conclusion générale……………………………………………………………………………………………p.146 Bibliographie…………………………………………………………………………………………………………p.153 1 Introduction générale L’art contemporain est manifestement devenu à la mode. Malgré les idées reçues, l'art contemporain ne cesse de s'imposer dans le paysage culturel français, et rencontre les faveurs d'un public toujours plus large. Au point qu'il est désormais exposé par les lieux patrimoniaux les plus prestigieux tels que le Louvre, le musée d'Orsay, et bien sûr le Château de Versailles, qui n’hésitent pas à confronter art plus classique avec des créations contemporaines pour se mettre aux goûts du jour, créant par la même occasion de nombreuses polémiques. A la fin du mois de décembre, comme chaque année, se sont tenues à Paris simultanément pas moins de cinq foires d'art contemporain. C’est environ cent cinquante biennales d’art contemporain qui ont vu le jour dans le monde au cours de ces vingt dernières années, assurément plus de foires, et plus encore de manifestations et festivals. Autrement dit, c'est sous la forme d’évènements ponctuels, se rapprochant du spectacle, que l’art contemporain est sorti de l’atelier, des friches des années 1980, de la marginalisation, et qu’il fait depuis exploser le marché. Pour rester concis, c’est avec l’évolution de la notion d’exposition, qui s’est accélérée ces trente dernières années, que s’est déployée cette reconnaissance. C’est en énonçant les règles de l’exposition, tous ses métiers, en étudiant ses publics, en peaufinant le communication, en mettant en place des outils de médiations, que la maîtrise rationnalisée de l’exposition s’est mise en oeuvre progressivement, générant dans les lieux de monstration professionnalisation, industrialisation, voire même spectacularisation de l’exposition et de toutes les composantes du musée, comme la collection permanente. Toutes ces actions consécutives ont contribué à éduquer notre regard à l’art contemporain, à un certain art contemporain, et ont permis l’émulation dans la cité. Qu’en est-il des oeuvres ? Si nous nous plaçons dans une situation chronologique d’histoire de l’art qui montrerait le basculement d’un mouvement par un autre, la modernité du XXe siècle serait logiquement, irrémédiablement suivie, pour ne pas dire remplacée, par l’art contemporain. Le terme «contemporain» pourrait simplement affirmer que nous sommes en phase avec notre époque, avec ce monde qui est entrain de se jouer. Que l'on s'inscrit dans le processus de mutation du monde, sans s'interdire de le critiquer 2 ou d'en dénoncer certains aspects. Mais l'inflation de popularité du terme est à la mesure de ses ambiguïtés sémantiques, en art particulièrement. De nombreux artistes se disent à tort contemporains du fait qu’ils soient vivants. Or un artiste vivant va donner vie à des créations contemporaines certes, mais celles-ci ne seront pas forcément reconnues comme étant de l'art contemporain par les professionnels de l’art. Nombreux sont les personnes qui affectionnent de peindre à la manière des impressionnistes encore aujourd’hui, même si cela ne se justifie pas dans une pratique de l’art qui se fonderait sur la chronologie de l’histoire de l’art, comme parler « d’avantgarde » aujourd’hui pour parler des toutes dernières créations expérimentales serait un anachronisme car l’avant garde existe dans un temps donné, celui de la première moitié du XXème siècle. Si les artistes travaillent et développent des oeuvres aujourd’hui dans des formes qui les éloignent des institutions culturelles et du marché amplement acquis au contemporain, revendiquer le label «contemporain» est pour eux une tentative de rentrer dans les territoires aujourd'hui les plus actifs de l'art. Un écueil inverse, pour qui veut être contemporain, est de vivre avec son temps et ses objets. C'est notamment le cas, depuis quelques années, des artistes qui déploient une surenchère de technologies numériques, de matériaux nouveaux, de dispositifs sophistiqués, à partir de cette idée erronée selon laquelle être à la pointe des innovations de l'époque serait la meilleure façon d'être un artiste contemporain, de révolutionner l’art en créant des oeuvres « nouvelles », adjectif souvent joint dès que l’on parle de technologies. L’art dit numérique, qui détermine les oeuvres d’art utilisant des technologies numériques dans leur mise en oeuvre, est de fait lui aussi à la mode, et commence à nous être familier. A la fin du XXe siècle apparaît progressivement au public une forme de création artistique singulière, un courant qui utilise les sciences, l'ordinateur, Internet et plus largement les nouvelles technologies numériques comme pinceaux et comme toiles, comme outils et comme supports, que l’on appelle « l'art numérique ». Cela fait déjà quelques décennies que l’art utilise les nouvelles technologies comme des outils de création. Les artistes sont friands de découvrir et d’essayer de nouveaux médiums pour diversifier leurs oeuvres. Pourtant de nombreux amalgames sont faits avec ce terme. Qui peut dire ce qu’est l’art numérique ? 3 Nous avons pu dresser un panorama général de ces oeuvres dans nos recherches précédentes et les discuter. L’utilisation des technologies dans l’art n’est pas si nouvelle, et l'engouement récent de la presse et des institutions n'en font pas pour autant un sujet connu, ni surtout maitrisé. Sa définition est encore floue et non arrêtée, ses formes d’oeuvres sont très variées et non figées : photographies, vidéos, sculptures, projections, installations. Cela veut-il dire pour autant que tout objet puisse être numérique dès l’instant ou celui-ci utilise un matériau numérique dans sa technique? Effectivement l’utilisation du numérique est récurrente de nos jours pour la diffusion des oeuvres, pour la production, pour l’archivage. Les nouvelles technologies dans l’art servent-elles uniquement de dispositif de monstration ou sont-elles de réels médiums de création ? En bref, est ce que l’utilisation des technologies numériques renouvellent la création artistique contemporaine ? C’est ce que nous avons tenté d’établir par de nombreuses recherches auparavant. Mais surtout, ces recherches nous ont amenées à sortir du général de cette catégorie pour nous demander si l’une de ces formes n’a pas plus de résolution que les autres. Est-ce que l’utilisation des technologies de communication dans l’art se contente simplement de recréer les oeuvres dites traditionnelles sur des supports numériques ? Y a-til des artistes qui réfléchissent sur le médium numérique en particulier ? C’est ainsi que nous avons pu mettre en avant un mouvement précis qui est considéré comme une sous partie de dans l’abondante famille de l’art numérique, appelé le net-art. Il est pour nous incontestablement la forme d’art numérique qui questionne le médium et apporte des spécificités propres et nouvelles à l’art contemporain. Mais est-ce que cela suffit à développer une nouvelle pratique artistique ? Dans un premier temps, il convient de délimiter et de questionner notre champ d'étude. Qu’est-ce qu’est le net-art ? Quelle acception ce terme a-t-il pour nous et pour les expérimentés en art numérique? En prenant en compte l’état contemporain des créations artistiques, nous pouvons maintenant envisager le net-art selon une approche dialectique. Nous espérons rendre les objets et les méthodes plus clairs, il nous faut donc commencer à définir les choses, à les nommer, à s’entendre sur des termes pour connaitre et cerner notre sujet. 4 Depuis une quinzaine d’années, le net-art s’impose en France où il désigne les créations interactives conçues par, pour et avec le réseau Internet. Il nous faut aussi revenir sur une question de vocabulaire. Ce qui dépend des nouvelles technologies résulte de nouvelles pratiques et par conséquent de nouveaux termes. Mais ces termes ne sont pas encore figés, et manquent même parfois. L'art d’Internet reste un pan de la création méconnu sur le marché de l'art contemporain. Peu d'études théoriques ont été menées pour caractériser, catégoriser et évaluer ces différentes pratiques. Ainsi, beaucoup d'articles, textes et document tentant d'approcher le net-art utilisent des vocables galvaudés entraînant confusions et incompréhensions chez le lecteur. Il faut pourtant bien nommer les objets, et il est difficile de s’inventer de nouveaux vocabulaires. Les vocables autour de la création en ligne sont multiples et ne sont pas nécessairement équivalents. Selon les auteurs, ils peuvent prendre des connotations différentes. Plusieurs théoriciens, artistes ou collectifs d'artistes se disputent la légitimité de chaque vocable. Aussi il n’est pas rare lors d’une conférence que chacun s’avance pour prouver la pertinence de son mot. Ou même, que l’on utilise plusieurs terminologies pour décrire la même chose. Web art, art en réseau, ou encore art Internet, chacun ont des petites nuances, et il n’existe aucun consensus bibliographique. Le terme « Web art » est trop réducteur en ce qu'il n'appréhende que les oeuvres qui prennent la forme uniquement de sites Web. Le vocable « art en réseau », parfois utilisé pour décrire l'art en ligne, est très imprécis car il renvoie à de nombreuses pratiques artistiques, autant analogiques que numériques. Plus récemment, nous constatons la généralisation du terme « Art Internet », repris par le britannique Julian Stallabrass1?, maître de conférence en histoire de l’art à l’Institut Courtauld à Londres, et l'américaine Rachel Greene2?, actuellement directrice de Rhizome.org3 1 STALLABRASS, Julian, Internet Art. The Online Clash of Culture and Commerce, Tate Publishing, Londres, 2003. 2 GREENE, Rachel, L’Art Internet, Thames & Hudson, Paris, 2005. , dans leurs deux ouvrages respectifs. Ce vocable, totalisant, a le mérite d'affirmer la notion de réseau et d'englober l'ensemble des créations en ligne, sans distinguer les différentes esthétiques et les différentes périodes. L'art Internet devient un terme générique, qui permet de simplifier et de démystifier le phénomène, même s'il ne rend pas compte de la diversité des approches et des pratiques. 3 Rhizome.org est une des plateformes Internet la plus active qui promeut le net-art. 5 Pourtant, c’est la typographie net-art qui retiendra notre attention, pour deux raisons. Parce qu’il s’agit du terme historique pour décrire cet art, ce qui lui donne une certaine légitimité, même si celle-ci est bien entendu discutée. Mais surtout parce que c’est sous ce vocable que l’art d’Internet trouve une reconnaissance dans le monde de l’art ces dernières années. S’il existe depuis les années quatre vingt dix, c’est depuis très récemment qu’il rencontre une certaine ferveur dans les centres d’art, les festivals, les conférences et les écoles d’art. Reconnaissance qui s’explique par l’expansion d’Internet dans toutes les sphères de nos activités, et les nouvelles pratiques qu’il apporte. Ainsi, pour Julian Stallabrass, « écrire à propos de l'art sur Internet revient à essayer de fixer en mots, un phénomène extrêmement instable et changeant, inextricablement lié au développement d'Internet lui-même »4 Ici, nous ne parlerons pas de l’utilisation générale des technologies dans l’art, mais strictement de l’utilisation du médium Internet. Car en effet, le net-art semble pousser au paroxysme les problématiques que l’utilisation du numérique dans l’art soulève, exploiter au mieux les qualités d’un matériau nouveau. Est-ce avec Internet que l’art s’empare des spécificités du numérique ? Voilà notre intuition, il nous faudra établir si elle se vérifie. Il nous semble même que ce sont les spécificités du net-art qui vont nous amener à nous questionner sur les enjeux de l’art numérique lui-même. Nous avons pu voir que les arts . Les auteurs utilisent indifféremment différentes typographies : Net Art, net art, net-art, net.art, etc. Il faut nous mettre d’accord : nous avons retenu net-art, qui présente l’avantage d’établir une référence directe à Internet. Nous conservons aussi le trait d’union afin de marquer qu’il s’agit d’un néologisme entre Internet et art. En revanche, nous ne conservons pas de majuscules, pour la raison que le net n’est pas une marque mais un nom commun, et qu’il ne s’agit pas de l’art avec un grand A comme lorsque l’on veut lui donner des qualités ou une unité de valeur. Depuis les années soixante, les artistes se sont d’abord emparés des ordinateurs puis des nouvelles technologies comme outils de recherche esthétique, de création et comme médiums d'exposition. Le numérique est devenu ainsi non seulement un support de médiation de l'art servant à diffuser mais aussi un médium artistique en soi. 4 STALLABRASS, Julian, Ibid, p 10/11. 6 numériques posent de nombreuses questions propres aux créations artistiques : la notion d’immatériel et de copyleft attitude redéfinissent le statut de l’objet et de l’auteur, et font évoluer les espaces d’exposition, avec des installations qui prônent la participation et l’immersion, magnifiant leur caractère d’oeuvres spectacles. Internet apporte indéniablement à l’art numérique une force et un poids qui fait prendre aux technologies dans l’art une nouvelle tournure. Nous pouvons citer l’immédiateté du temps réel, la participation du web 2.0, l’ubiquité et la diffusion mondiale que cet espace apporte. Comment le réseau est-il utilisé ? Que génère-t-il ? Est-il porteur d’interrogations sur l’outil Internet, d’une critique, ou bien facteur de nouvelles modalités d’intensification des technologies de l’information et de la communication dans la société ? Mais plutôt que de problématiser certaines notions déjà abordées dans nos écrits précédents, nous allons tenter de mettre en avant une certaine méthode qui pourrait nous permettre de définir et de reconnaître ces oeuvres du net-art, crées pour, par et avec Internet. Cette forme artistique, qui entame sa présence dans les événements culturels et que les parties prenantes tentent de théoriser, interroge de manière parallèle les pensées de l'art et de la communication, puisqu’elle allie création et Internet, que l’on qualifie comme un outil de communication. Pourtant l'utilisation d'une TIC, Technologie de l'Information et de la Communication, pour créer, parait presque être une invraisemblance. Comment faire de l’art avec une technique de diffusion ? Comment cette union est-elle survenue ? Le fait même de penser une oeuvre du net-art comme toutes les autres oeuvres, comme un objet fixe, pose problème. Nous allons le considérer comme un objet pour pouvoir l’étudier, mais sa forme est de fait instable, forcément présentée sur un site Internet, hébergé par un serveur, comme toutes les autres formes de communication que l’on va trouver sur le net. En effet, Internet constitue un espace commun à toutes les personnes connectées qui accueille tout type d'activité, commerce, échange d’informations, loisirs. Cliquer sur le site d’un supermarché, sur le blog d’un ami ou sur une oeuvre du net-art est le même type d'acte, qui va s'inscrire de la même façon sur le même écran, dans la même fenêtre. Comment montrer de l’art et se faire reconnaitre comme tel dans la nébuleuse de la toile ? Il semble que cet art tente de renouveler une esthétique, tout en renouvelant une médiation de l'art, ainsi que sa réception. Ces concepts ne peuvent être réellement définis, dans toute leur complexité et leur actualité, qu'au fur et à mesure de notre analyse. 7 Il nous faut rappeler que nous nous situons plus dans une analyse esthétique, reliée à une démarche d’histoire de l’art, face à un terrain suffisamment jeune à étudier. Comme pour les arts dits numériques, c’est encore à une technique que l’on doit le net-art. Pourtant nous ne pouvons encrer notre réflexion à travers les prouesses techniques ou la manière dont les technologies sont utilisées dans l’art, car nous ne sommes pas des spécialistes en informatique ou en programmation, même si nous verrons que ces notions techniques rejoignent bien souvent la forme esthétique des oeuvres. Nous ne discuterons pas non plus des qualités sociologiques de cet art, qui sont pourtant présentes, essentiellement dans sa réception et sa diffusion. Nous avons de préférence choisi de prendre la question du net-art par le biais de son objet, l’art. Nous parlerons des oeuvres, des artistes et des pratiques artistiques liées à cette technologie de la communication, pour voir comment les technologies viennent au monde de l’art pour engendrer, peut-être, de nouvelles pratiques et de nouvelles problématiques de monstration. Notre objectif est d’arriver à dresser un état des lieux de ces oeuvres et de ces environnements. Pour cela notre priorité est de baliser le paysage du net-art. Celui-ci représente la figure la plus radicale entre tous les arts numériques : par et pour le Web. La question du dispositif est centrale, dans le processus de création mais aussi dans celui de la diffusion. Des oeuvres autonomes qui n’ont littéralement plus besoin des institutions, mais par la même occasion qui éprouvent des difficultés pour s’insérer dans le marché de l’art. Elles manquent donc de reconnaissance, élément essentiel dans le développement d’un courant artistique. Malgré cela, en contrepartie, ces créations ont donné lieu à leur monde de l’art, à l’émergence de nouveaux acteurs, et à la réaction des institutions. Qu’en est-il vraiment ? Nous parlerons tout d’abord et en priorité des oeuvres, en les considérant comme des objets à étudier, pour étendre au fil des parties ces objets sur leur support et vers leurs environnements, et ainsi ouvrir nos perspectives. Nos recherches sont présentées en deux parties, qui espèrent dresser le paysage du net-art. La première que l’on peut définir comme historiographique nous permet d’établir le pan théorique, de poser les questionnements qui vont nous aider à reconnaitre les oeuvres du net-art. Il s’agit dans un premier temps de définir et cerner cet objet d’étude bien spécifique pour ensuite pouvoir l’analyser. Si le net-art existe, à quoi ressemble ses oeuvres ? Comment est-il apparu ? 8 A-t-il surgit en même temps que son support ou se situe-t-il dans une filiation avec l’histoire de l’art que l’on connait ? Cette première partie méthodologique se concentre sur les aspect esthétiques des oeuvres, en questionnant les objets et les acteurs, tentant de définir des typologies si cela est possible pour mettre en avant certaines spécificités, si bien sûr il y a. Les artistes s’emparent très vite des ordinateurs, et plus tard d’Internet que nous ne présentons plus. Le net-art se manifeste véritablement dans la deuxième moitié des années 1990, date à laquelle les gouvernements assouplissent les conditions d'admission à Internet pour les particuliers. Dès lors, Internet séduit le monde des entreprises, les ordinateurs s’installent dans nos foyers, sont de plus en plus accessibles et de plus en plus présents dans toutes nos activités. L'extrême technicité des oeuvres, l'absence de visibilité des artistes sur le marché de l'art et la multiplicité des démarches ont longtemps contribué à occulter l'art Internet du champ de l'art contemporain. Les premiers net artistes, pour la plupart des informaticiens, s'engagent à repenser la relation entre art et technique. La frontière entre ces deux notions apparaît particulièrement mobile et suscite un véritable débat. Ce sont ces pré-requis donnés à la fois par les professionnels, diffuseurs, chercheurs, et les artistes eux-mêmes, que nous allons étudier. Il s’agira de montrer que le net-art, en réalité, n’est pas autre chose que l’art du net : une pratique à la fois ordinaire car faisant partie du quotidien, et pourtant éclairée de l’outil Internet. Un pratique qui a le souci de la beauté intrinsèque du réseau, et qui en observe les qualités que l’on trouve dans les principes fondateurs de l’Internet. Il s’agit d’une certaine historiographie, racontée par les parties prenantes, mais qui nous permet de situer ces créations dans une continuité avec l’histoire de l’art pour comprendre ses formes, et qui montre aussi une rupture avec l’utilisation d’Internet et les nouvelles problématiques que cela va apporter dans l’art. De quoi s’inspire le net-art ? Dénonce-t-il quelque chose ? Quelles sont ces réelles spécificités qui lui sont propres, si il y a ? Nous devrons faire la présentation des sources et des accès, bibliographie, webographie, pour être au plus proche des oeuvres. Car ce qui reste essentiel dans la compréhension du netart, c’est que chacun en face l’expérience. 9 Il est assez paradoxal de devoir décrire les oeuvres et les montrer fixes, alors qu’elles prennent vie sur un réseau de diffusion, en ligne. L’expérimentation des oeuvres est aussi l’une de leurs particularités : elles fonctionnent par l’expérience du spectateur qui met en route l’oeuvre et devient opérateur. Cependant, ce qui se recoupe sous le terme vaste de l’interactivité, est à remettre en question. Quelle interactivité ? Quelle participation du spectateur ? Dans quel but ? Si le réseau Internet, conçu par le Département américain de la défense, était initialement réservé aux militaires, aux chercheurs et aux universitaires, les artistes ont su, très tôt, prendre une part active au sein du réseau. Les potentialités d'incrémentation du champ des possibles qu'offre le réseau Internet ont permis aux artistes de repenser les présupposés philosophiques et plastiques au sein de l'espace virtuel. La formule d'Oscar Wilde, selon laquelle «toute nouvelle technologie implique une nouvelle forme d'art»5 Le net-art se situe donc au confluent de deux grands progrès techniques de la seconde moitié du XXe siècle, l’informatique et la télécommunication. Comment art et Internet peuvent-ils cohabiter ? Après avoir abordé les objets, nous étudierons les multiples environnements du net-art, à savoir les sites Internet d’abord, pour finir par le milieu même de l’art. Car pour saisir vraiment une pratique, il faut connaitre son institutionnalisation, et pour comprendre cette institutionnalisation il nous faut étudier les environnements du netart, sa diffusion, son marché. Si de plus en plus de festivals et de lieux sont consacrés au numérique, quelle est la part dédiée au net-art ? Pour la première fois, les modes de production et les modes de réception de l’image sont réglés par la même technique et par le même outil. Notre parcours nous conduit jusqu’à la question de l’insertion prend ici toute sa coloration. Nous proposons de ce fait de nous déplacer de la simple dimension technique de l’image numérique du net-art à son extension pratique, afin de réfléchir sur la notion de texture numérique, pour comprendre comment l’art peut fonctionner sur un écran numérique. Qu’est ce que cela change au niveau des effets de matière ou de vision, de tissu ou de réseau, et de contexte. Quelles sont, à travers le net-art, les contradictions, constances et mutations de ces concepts ? En retour, permettront-ils de spécifier le net-art, et en causalité l’art numérique, autrement que par ses propriétés techniques ? 5 Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray, 1891. 10 institutionnelle des oeuvres numériques qui ont la particularité d’être diffusées en ligne, sur Internet, et qui ne doivent à priori pas être vues off line, hors d’Internet. Il semble impossible de palper une oeuvre sur le net. Comment peuvent-elles être diffusées au vue de leurs particularités ? Comment les délimiter ? Même si elles n’ont pas la forme des sites habituels, elles se présentent sur un site Internet, avec plus ou moins d’arborescence. Elles reprennent des codes utilisés pour d’autres formes que nous pouvons considérer comme des créations de communication, des sites de commerces, des sites de musées, des blogs etc. Pouvons-nous reconnaitre les oeuvres du net-art entre les autres objets du net ? Puis nous déploierons encore un peu nos perspectives pour nous intéresser aux artistes eux-mêmes. Lorsque nous nous penchons un peu plus sur le processus de création du net-art, un autre aspect des oeuvres apparait. Un nouveau genre de collaborations, un nouveau genre d’artistes apparaissent, ils sont aussi bien programmeurs, scientifiques qu’artistes, et évoluent en même temps que la technique. Ils jouent avec notre rapport à l’écran mais aussi avec les mots. Nous irons voir du côté des identités des net-artistes. Quelles identités numériques ont-ils ? Internet est un espace public non traditionnel, et ce n’est pas qu’un espace documentaire : il a été dès l’origine un outil conversationnel. Le nom que l’auteur d’un site utilise pour communiquer, l’identité qu’il se crée, son avatar, comme l’adresse du site, nous donnent des indications sur le rapport que le créateur va entretenir avec son oeuvre. Cela nous permettra de mettre en avant des démarches différentes et de distinguer les usages divers que les artistes font d’Internet. L'avènement du « Web 2.0 », l'Internet nouvelle génération participatif, a notamment permis de démocratiser les réseaux de socialisation. Cela se retrouve-t-il dans les oeuvres ? Pouvons-nous alors parler d’art social, comme l’on parle du web social pour décrire les échanges sur Internet ? Nous devrons comprendre si la patrimonialisation du net-art est possible. La première approche historique du net-art que nous avons vu révèle non seulement une certaine ambiguïté esthétique, mais également un manque de reconnaissance institutionnelle évident. Ce manque est fondamental dans l'étude de cet art et de ses médiations dans la mesure où l'appropriation (ou l'in-appropriation) institutionnelle de ce courant, la difficulté pour les médiateurs d'identifier ce champ artistique, semblent constituer des acteurs à part entière de son identité. Comment institutionnaliser un art défini par sa « ponctualité »? Absent des foires internationales et de la plupart des institutions culturelles, souvent ignoré par la critique, l'art Internet reste relativement 11 méconnu du public. Quels sont les acteurs qui ont fait cet art ? Historiquement, la diffusion s'est principalement concentrée autour de quelques collectionneurs initiés, institutionnels ou privés, et soucieux de constituer des collections d'avant-garde, ainsi que d'un nombre restreint d'informaticiens éclairés. La politique d'acquisition d'oeuvres d'art Internet est largement marginale et sous dimensionnée par rapport à l'offre. Nous étudierons les interactions des acteurs entre eux et avec leurs environnements, puis nous analyserons leurs positionnements face au public et sur le marché, pour parler d’exposition et enfin de conservation. Nous verrons des sites d’artistes, des plateformes de diffusion, des festivals, des institutions patrimoniales pour répondre aux questions de monstration et conservation où coopèrent les nouveaux acteurs et les institutions. Les possibilités du réseau ont été explorées et exploitées pour créer un art sans médiation entre l’artiste et l’internaute, le créateur et le spectateur/regardeur/visiteur/acteur. Un art éphémère, qui est basé sur l’information et non pas autour de l’objet. Un art en perpétuelle mutation du fait du flux de données d’Internet, des changements de protocoles ou de serveurs, des développements technologiques. Un art où la notion de paternité explose. Une pratique artistique où les artistes sont leurs propres critiques, galeries, agents, commissaires d’exposition… Le net-art questionne l’institution muséale, et parallèlement, le musée s’intéresse au net-art, et ce, depuis quelques années. Le musée est une institution basée sur une collection de biens culturels mobiliers inaliénables et le net-art, une production artistique immatérielle, éphémère, basée sur de l’information. Cependant, les musées exposent, commandent, collectionnent, conservent des oeuvres de net-art, même si ces actions sont minimes. Le net-art bien plus que l’art numérique bouleverse non seulement les rapports traditionnels entre l’auteur, l’oeuvre et le spectateur, mais les mécanismes même de la circulation de l’art, sa contribution à la culture. Celui-ci pose à l’évidence la question de la relation entre l’art et la technique, la question de la place du spectateur, la question des disciplines de l’art entre elles, et enfin, la question de la place et des fonctions de l’art dans la culture contemporaine. L’utilisation d’une technologie de la communication dans l’art apparait ainsi comme un nouveau milieu, un nouvel environnement qui vient tisser, tramer, ordonner les coordonnées d’un nouvel espace, ou plus encore, ré agencer les rapports entre nouveaux et anciens espaces d’exposition. 12 Le net-art nous amènera-t-il vers de nouvelles propositions muséographiques, vers de nouveaux modèles d’expositions, ou peut-être même vers une nouvelle acception du mot exposition ? Le net-art est un objet d'étude très original dans le cadre de la réflexion sur les technologies de l'information et de la communication dans la société. Il nous a alors semblé important de jeter un regard croisé, artistes et chercheurs, sur ce qui est encore considéré de façon assez floue, pour toutes les raisons que nous avons énoncé. Nous avons donc souhaité saisir les enjeux relatifs à cette forme d'expression fondée sur les technologies informatiques et le réseau Internet. Il apparaît également intéressant de cerner le potentiel d'inventions techniques et sociales que le net-art génère, au niveau des créations artistiques, des musées, et de la société. Est-il porteur d'interrogations sur l’Internet, d'une critique, ou bien facteur de nouvelles modalités d'intensification des technologies de l'information et de la communication dans la société ? Il est temps pour nous de rentrer dans le vif du sujet, pour vérifier ou remettre en cause les pré-requis du net-art. 13 Anatomie des oeuvres du net-art 14 Les nouvelles technologies et les nouveaux médias sont omniprésents dans les articles, les éditions, et pas seulement dans les revues spécialisées en sciences et techniques. La technologie est un inlassable sujet d’actualité. Depuis que note société prône le changement6 Internet a conquis en quelques années la place que l’on sait dans le monde contemporain, et accroît sans cesse les possibilités d’atteindre les sources d’information et de documentation les plus variées. Les entreprises, les particuliers l’ont investi pour de diverses activités. Des termes comme Google deviennent presque des noms communs, voire des verbes, pour qualifier certaines action sur le net qui n’ont pas encore d’appellation. Les institutions, les professionnels, les lieux de recherches et d’expositions, comme les artistes utilisent Internet comme un moyen supplémentaire de communication, mais aussi de diffusion, principalement grâce à la numérisation de données, qui aide aux archives, aux bases de données, à la collection, et de fait à la recherche. Et lorsque l’on parle de création ? A l’ombre de cette montagne de services, commerciaux ou non, se développe, assez confidentiellement, un ensemble de propositions artistiques dont les plus anciennes ont une quinzaine d’années d’existence, et qui se déploient comme une comme un passage obligé pour évoluer et devenir, forcément, meilleur, on fait la publicité des nouvelles techniques, mais encore plus depuis que l’avancée de ces techniques est très rapide et s’invite dans notre vie de tous les jours, nos foyers comme nos lieux de travail. Notre société est maintenant basée sur le numérique, de nombreux loisirs sont accessibles par le biais des nouveaux médias, tout comme l’information, notre travail y est relié. Cette mouvance n’échappe pas au monde de l’art. Cela fait déjà quelques décennies que l’art utilise les nouvelles technologies comme des outils de création. Les artistes sont friands de découvrir et d’essayer de nouveaux médiums pour diversifier leurs oeuvres. Art vidéo, art numérique, net-art, bio-art… Avec la flambée de l’intérêt des particuliers pour ces formes, ordinateurs et Internet, mp3, consoles de jeux vidéos, et les nouvelles générations qui baignent dans l’utilisation de ces pratiques depuis le début de leur éducation, les nouvelles technologies et les nouveaux médias envahissent la création artistique, du moins sont beaucoup plus médiatisés. 6 CHARBONNIER, Georges, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Paris, Union Générale d’Editions, coll.10/18, 1961, p. 37-48. DUMONT, Fernand , « L’idée de développement culturel », dans Le sort de la culture, Montréal, L’Hexagone, 1987, p.19-48. 15 excroissance du domaine plus vaste et plus reconnu qu’est l’art numérique. Ces propositions, qui allient art et Internet, sont regroupées par les professionnels sous le terme de « net-art ». Quel peut bien être ce type de création ? Quelle acception ce terme at- il pour nous et pour les expérimentés en art numérique? Depuis une quinzaine d’années, le net-art s’impose en France où il désigne les créations interactives conçues par, pour et avec le réseau Internet. Sous l’appellation netart s’engage donc un art qui regroupe l’ensemble des pratiques artistiques utilisant Internet de façon active au coeur de leur travail de production. L’art sur réseau exploite le réseau comme un simple outil de communication et sert à diffuser des oeuvres qui ne doivent rien à la technologie du réseau. L’art en réseau, au contraire, tente d’exploiter les spécificités du réseau et les possibilités esthétiques nouvelles qu’il offre. Il faut bien faire cette distinction entre les oeuvres dites classiques qui vont pouvoir être numérisées pour être diffuser sur Internet, du type sites galeries et autres musées virtuels ou bases de données, qui sont de simples sites de diffusion qui utilisent Internet dans un but de communication. Et les oeuvres du net-art, qui tentent au contraire d’exploiter les spécificités du réseau dans leur exécution, et qui semblent être les seules à lier véritablement la création aux nouvelles technologies de la communication. Nous tenterons de montrer que le net-art est une pratique précise et sensible du réseau qu’est Internet, et qu’il fonctionne en intelligence avec son écosystème. Nous faisons donc la distinction entre de « l’art sur le net », et le « net-art ». Comment saisir cette nuance et différencier ces deux types de création ? Une oeuvre plastique, peinture, photographie, sculpture, qui se trouve sur le net, est déclarée artistique car elle présente toutes les apparences convenues de l’art reconnu comme tel. Ce sont, par exemple, toutes les formes d’oeuvres que l’on voit sur les sites web d’artistes de tous types, qui ont numérisé leurs créations pour les mettre sur Internet afin de les diffuser, tout du moins afin de communiquer autour de leur art. Ces objets d’art ne sont pas du net-art. Ils ne sont pas faits par et pour le réseau Internet. Ils sont en visibilité sur la surface de la toile mais ne font pas partis de la réalité du réseau. Pour qu’une oeuvre puisse être déclarée du net-art, pour nous mais aussi pour de nombreux critiques et artistes, il lui faut être conçue spécialement par et pour le réseau. L’oeuvre du net-art n’existe alors que dans la réalité réticulaire de notre rapport à l’écran 16 qui nous permet de consulter Internet, et de « voir » son art. Sa matière n’est pas seulement numérique, elle fait partie intégrante du flux « on-line » du réseau. Ainsi, elle ne devrait pouvoir exister en dehors du réseau. Il ne suffit pas non plus que les oeuvres soient crées avec Internet pour être véritablement du net-art. Nous nous en expliquons. Il est possible par exemple qu’une oeuvre soit qualifiée ainsi car elle aurait été réalisée par des artistes qui utilisent le net pour faire de l’art. Or ce sont, pour la plupart, toujours des objets d’art selon les critères dévolus aux oeuvres matérielles comme nous les avons citées plus haut, quand bien même ils seraient conçus spécialement pour le net. Dans les faits, il ne suffit pas de réaliser des objets d’art pour le net pour que ces objets soient, selon nos critères toujours, qualifiés de net-art. « Pour qu’une oeuvre soit du net-art, il lui faut intégrer ce qui fait la nature même d’Internet et être en intelligence avec l’esprit qui lui a donné corps. Disons-le d’une formule simple : le Net-art c’est l’art du Net »7 7 MOREAU, Antoine, La voie négative du Net-art, dans la revue Terminal n°101, printemps 2008. , qui doit utiliser les spécificités propres à Internet. Quelles sont ces spécificités qui formulent l’outil Internet ? Et surtout, comment Internet peut-il entrer dans le champs de l’art et de la création au même titre que tout autre médium ? L'examen des processus de légitimation du net-art nécessite, en préalable, l'étude de ses fondements esthétiques, de ses spécificités et de ses enjeux. Cette étude cherche à établir les spécificités des propositions artistiques consultables sur Internet, par rapport aux autres productions numériques. Si dans un premier temps, l'accueil réservé au net-art feignait l'ignorance, les instances de légitimations doivent aujourd'hui composer. La force de l'impulsion artistique numérique oblige les acteurs à remettre en cause leurs certitudes, leurs perspectives et à construire un nouveau régime, capable de prendre en compte les évolutions suggérées par le numérique et de fait par le net-art. Le net-art, qui est construit sur un média, permet de créer et de diffuser quasiment en même temps. Ainsi les artistes, en expérimentant eux même de nouvelles relations au public, accélèrent le processus. Créant leurs propres réseaux de diffusion, se regroupant contre les intermédiaires qui leur font parfois défaut, les nets artistes tentent d'écrire de nouvelles façons de fonctionner, d'exister, d'élargir le champ de l'art. 17 Il existe pourtant peu de documentations sur ces créations. Nous verrons plus loin ce qui explique cela. Comment alors reconnaitre ces oeuvres ? A nous de nous créer notre état des lieux du net-art, de regrouper les éléments existants trouvés au fil de nos recherches, de nos lectures, de nos rencontres, pour recouper des informations et nous créer une articulation, notre articulation critique et historique. 1. Panorama critique historique et enjeux Il s'agit ici d'étudier l'émergence de la création sur Internet et de son discours critique, d'analyser la construction, l'évolution de ce nouveau média de ces débuts à aujourd’hui, pour plus tard rendre compte de la perspective dans laquelle les acteurs culturels ont souhaité légitimer le net-art. Le net-art reste un pan de la création méconnu sur le marché de l'art contemporain. Peu d'études scientifiques ont été menées pour caractériser, catégoriser et évaluer ces différentes pratiques. Cependant quelques articles, textes et document font l’exception, tentant d'approcher le net-art. Mais ceux-ci restent très généraux, et ont souvent bien du mal à le définir, préférant le ranger dans la catégorie encore plus large de l’art numérique, évitant ainsi de rentrer dans les détails. C'est d’ailleurs pourquoi la constitution de cet art reste difficile à cerner, car il demeure encore, pour le moment, un objet construit par de multiples partis pris et des tentatives définitionnelles qui viennent d’horizons différents. Comme rien n’est encore strictement défini, ni arrêté, chacun se permet sa définition, avec son utilisation propre. Nous verrons que ce flottement est aussi dû à sa fabrication, dû à des échanges entre artistes, informaticiens et scientifiques. Comment cerner ce champ artistique en constante redéfinition et évolution ? Bouleversant les codes esthétiques et philosophiques contingents à la création contemporaine, le net-art semble émerger de nulle part. Pourtant, nous verrons que par son essence, il donne un second souffle à nombre de problématiques artistiques du XXe siècle, tout en amorçant une certaine rupture que le numérique et la dématérialisation des oeuvres ont provoqué. 18 Nous aborderons les réinterprétations constantes que l’apparition de ces outils dans l’art ont apporté, afin de comprendre selon quelles perceptions, quels éclairages et discours le net-art commence à apparaître au public. L'étude préalable de l'articulation historique du net-art nous permettra certainement de mieux définir cette création, puis d'en saisir ses caractéristiques et ses enjeux. 1.a. L’utilisation des TIC dans l’art Depuis toujours, la science et la technologie ont influencé le domaine artistique. Cette relation entre art et technique, qui a dominé durant la Renaissance, refait surface aujourd’hui avec le numérique, et bien plus peut-être avec Internet. L'apparition du net-art n'a pas été le fruit d'une révolution brutale, elle est le résultat d’un processus évolutif que connaît l’histoire de l’art, conjugaison d’histoires, d’art, des développements des technologies, du développement de l’ensemble des pratiques artistiques reposants sur ces médias techniques, et de la société elle-même. Nous retrouvons de nombreuses utilisations des différents outils de communication dans l’art, tout au long de l’évolution rapide de ces hyper médias. Il nous faut revenir, assez rapidement car là n’est pas notre propos, sur l’utilisation des téléphones, de la TV, du Minitel, de l’ordinateur, avant de parler d’art sur Internet. Nam June Paik, TV Buddha, 1974. Installation vidéo avec sculpture en bronze, écran noir et blanc et camera, dimensions variables. Stedelijk Museum, Amsterdam. Gary Hill, Inasmuch As It Always Already Taking Place, 1990. Ecrans cathodiques, système audio-vidéo. 41x137x167 cm. Vue de l’installation au Musem of Modern Art, New York, 1990-91. Court. Donald Young Gallery, Chicago. 19 Pour une utilisation artistique du téléphone, il faut remonter aux origines mêmes : Alexander Graham Bell, dès 1879, employait son invention pour transmettre la musique d'une scène de New York à une maison de Yonkers. A Paris, en 1881, une salle pourvue de vingt récepteurs téléphoniques permettait à quatre mille personnes par jour d'entendre quelques minutes d'oeuvres transmises en direct de l'Opéra8. Il a fallu l'exposition Art by Telephone9? Les artistes ont également utilisé la radio en tant que « nouvel espace acoustique capable de susciter à distance des images mentales » organisée par le Musée d'Art Contemporain de Chicago en 1969, pour voir plusieurs artistes construire des dispositifs exploitant le potentiel interactif de ce medium. Robert Huot par exemple proposait aux visiteurs de téléphoner, dans vingt-six villes, à vingt-six hommes prénommés Arthur ("Art") pour une conversation improvisée, espérant créer des rencontres inattendues en s’appuyant sur le hasard et l’anonymat. 10 8 ARONSON, Sidney, "Téléphone et société" in Réseaux, C.N.E.T., n°55, Paris, 1992, p.18-19. COSTA, Mario, "Technologie, production artistique et esthétique de la communication" in Art Press N°122, février 1988, p.11. 9 Art by Telephone, du 1er novembre eu 14 décembre 1969, Musée d’Art Contemporain de Chicago. 10 O’ROURKE, Karen, « Art, réseaux, télécommunications », in Mutations de l'image : Art Cinéma/ Vidéo/ Ordinateur, Astarti, Paris, 1994, p.52-57. . En 1951 par exemple, il était possible d’entendre l'Imaginary Landscape n°4 de John Cage, joué par douze radios réglées sur des fréquences différentes. La vidéo fait son apparition dès les années soixante en tant qu’expression artistique, avec l’utilisation des téléviseurs. En 1959, dans le cahier de notes de George Brecht, on trouve l’ébauche d’une Television piece, assemblage de neuf téléviseurs en marche, formant ce que nous appellerions aujourd’hui un mur vidéo. Dès les années 1962, Nam June Paik, artiste sud coréen, entreprend de faire des expériences avec des tubes cathodiques de téléviseurs. C’est en 1963 qu’il expose les résultats de ses premières recherches à la galerie Parnass de Wuppertal, en Allemagne. Les installations de Nam June Paik dans les années 60, de Gary Hill dans les années 70, ou de Bill Viola dans les années 90 font depuis références. En France, les artistes furent parmi les premiers à employer le Minitel, mis en vente à partie de 1980, comme support de réalisation ou de diffusion pour des oeuvres. Fred Forest présente La bourse de l’imaginaire en juin 1982 au Centre Georges Pompidou. Michael Noll, Selected frames from movie of the three-dimensional projection of a rotating four dimensional hypercube, 1960. © A.Michael Noll Frieder Nake, Klee, plotter drawing, encre sur papier, 1965. 20 Durant cinq semaines, cette bourse a pour objectif de tester les potentialités créatives du public dans une situation d’interaction. Son dispositif vise à instaurer un vaste jeu d’échange et de création de « faits divers » à l’échelle nationale. Des équipements de communication divers sont mis en scène : batteries de lignes téléphoniques, répondeurs automatiques, télex d'agences de presse, télécopieurs, photocopieurs, régie vidéo, installations radio, cimaises d'exposition, etc. En 1984, Jacques-Elie Chabert11? propose un roman interactif à options multiples sur l’écran du Minitel. En 1987, Jean-Claude Anglade12? Dès les années soixante, les artistes se sont intéressés à l’outil qu’est l’ordinateur. La revue Computer and Automation organise déjà en 1963 un concours de dessins réalisés par ordinateur. Cet épisode a été déterminant selon de nombreux théoriciens comme Edmond Couchot imagine une création de lumière à Marne-la-Vallée, qui intègre la participation des habitants, à partir d’un usage citoyen du Minitel. 13, car les critères de sélection n’étaient plus seulement mathématiques ou techniques, mais surtout artistiques. La toute première génération de l'art sur ordinateur, que nous appellerions aujourd’hui art numérique, était composée essentiellement des artistes Frieder Nake, Georges Nees et Michael Noll, qui font de l’art « programmé ». Ils utilisaient pour leurs premières recherches des logiciels basés sur le principe du hasard, principe théorisé en 1971 par Abraham Moles dans son ouvrage Art et Ordinateur14? 11 CHABERT, Jacques-Elie, Vertiges, 1984. 12 ANGLADE, Jean-Claude, Image la vallée, 1987. 13 COUCHOT, Edmond et Norbert, HILLAIRE, L’art numérique, Flammarion, Paris, 2003. 14 MOLES, Abraham, Art et Ordinateur, Paris, Casterman, 1971. . Ces oeuvres aléatoires, « permutationnelles » selon le terme du théoricien, permettaient aux artistes d'expérimenter leurs formes dans un champ infini de possibles. Manfred Mohr systématise, de son côté, l’idée de série. Il est le premier à théoriser, en plasticien, les rapports de la création artistique et de l’ordinateur. Il travaille avec un langage de programmation pour la conception de ses oeuvres, et fait la première exposition personnelle d’oeuvres calculées et créées par un ordinateur dans un musée : « une esthétique programmée », durant un ARC du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris du 11 mai au 6 juin 1971. D’autres chercheurs, comme Hervé Huitric et Monique Nahas, s’intéressent à la couleur et à son algorithmisation. 21 C’est vers la fin de cette décennie, parallèlement à l’évolution de ces outils de communication, que les artistes ont commencé à exploiter systématiquement les possibilités interactives des télécommunications, alors en plein essor, mettant sur le devant de la scène la notion de dispositif15. Dès les années soixante-dix se sont développés un art et une culture qui rebondissent de satellite en satellite, autour du monde, abolissant toutes les frontières. En 1977, ce sont Kit Galloway et Sherrie Rabinowitz16? qui inventent un dispositif permettant aux participants, quoique situés respectivement sur les côtes Atlantique et pacifique des Etats-Unis, de danser « ensemble ». Par images interposées, ils sont réunis sur un même écran. La même année, Douglas Davis, en collaboration avec Nam June Paik et Joseph Beuys réalisent à la Documenta VI de Cassel une émission17 retransmise en direct par satellite dans plus de trente pays, au cours de laquelle Douglas Davis s’efforce de « traverser » l’écran de télévision pour toucher les autres acteurs. Ces métaphores visuelles sont rendues possibles par des artifices techniques : les images captées dans des lieux différents sont ensuite juxtaposées et couplées sur le même écran, permettant de voir les protagonistes superposés et confondus. En 1983, Roy Ascott crée à l’occasion de l’exposition Electra au Musée d’art moderne de la ville de Paris, un dispositif reliant quatorze villes de plusieurs continents18. Les années quatre-vingt-dix sont principalement marquées, du point de vu technique, par un développement accéléré de ce que l’on nommera l’interactivité, avec la réalité virtuelle et ses dérivés, le multimédia et les réseaux de communication informatique. Les ordinateurs sont encore inaccessibles par leur taille et leur coût. Pourtant, ces nouvelles techniques, qui font naître la notion d’interaction, séduisent les artistes. On parle alors de participation du spectateur. Des artistes comme Edmond Couchot, Yaacov Agam, et Myron Krueger, construisent les premiers dispositifs, qui réagissent par la lumière aux sons ou aux mouvements19. Un peu plus tard, Piotr Kowalski réalise une installation20 15 Les arts interactifs ont existé bien avant les ordinateurs. Nous pensons notamment aux sculptures de Nicolas Schöffer et à l’art cinétique dans les années 1950, mais ces travaux n’utilisent pas des TIC. 16 GALLOWAY, Kit et Sherrie RABINOWITZ, Satellite arts project, 1977. 17 DAVIS, Douglas, PAIK, Nam June, et BEUYS, Joseph; Documenta VI Satellite telecast, 1977. 18 ASCOTT, Roy, The pleating of the text : a planetary fairy tale, 1983. 19 Par exemple : COUCHOT, Edmond, Sémaphora III, entre 1965 et 1973. KRUEGER, Myron, Vidéoplace, 1974. AGAM, Yaacov, Fiat lux, 1967. 20 KOWALSKI, Piotr, Time machine, 1981. où le spectateur intervient en temps réel. 22 En 1982, Tom DeWitt? met au point un dispositif interactif sur écran21. Ces démarches sont théorisées par le Groupe International de l’Esthétique de la communication, fondé en 1983 par Mario Costa et Fred Forest, qui sont à l’origine de nombreux textes théoriques qui définissent cet art « de l’esthétique de la communication » : « Si l’oeuvre d’art ne se définit pas par l’outil, sophistiqué ou non, qu’elle utilise, la démarche artistique consiste néanmoins à chercher à inventer et à imposer des modèles, des formes, des systèmes, des concepts en parfaite adéquation de sens avec notre environnement sociétal, communicationnel et technologique »22 Il semblerait que bien avant qu’Internet ne soit devenu accessible à tout un chacun, les artistes révélaient déjà une sorte d’intuition en mettant en application les concepts qui constitueront la spécificité de la création sur Internet. Ils utilisent pour réaliser leurs oeuvres fax, Minitels ou micro-ordinateurs, parfois reliés en réseau. Pour la plupart d'entre eux, un point de ralliement: « la conviction que la communication construit le réel autant qu'elle le décrit ». . Les dispositifs, installations, oeuvres d’art sont pour eux des moyens d’améliorer la communication. 23 21 DE WITT, Tom, Pantomation system, 1982. 22 FOREST, Fred, Art et Internet, Paris, Editions Cercle d’Art, 2008. 23 O’ROURKE, Karen, opus cité. Certains mettent en scène la communication dans des performances ou des installations éphémères. Il s'agit pour eux de créer des événements où la présentation (même médiatisée) prime sur la représentation. D'autres, au contraire, utilisent ces technologies pour réaliser ou pour diffuser des représentations (images, textes, sons) au sein d'un réseau télématique. D'autres encore cherchent plutôt à provoquer des situations de communication entre personnes éloignées, entre artistes et publics dispersés. Un quatrième groupe s'emploie à construire des dispositifs interactifs où le spectateur devenu utilisateur communique avec une machine. Enfin quelques-uns vont jusqu'à créer des machines qui communiquent entre elles. Existe-t-il pour autant un art spécifiquement numérique? 23 Avec l’avènement d’Internet, les artistes ont tout aussi naturellement investi ce réseau planétaire, tissé par les relations entretenues entre ordinateurs et les liens reliant leurs contenus, permettant une connectivité mondiale. Le net-art est l’alliance de deux grands progrès technologiques de la seconde moitié du XXe siècle: l’informatique et la télécommunication, plus communément nommés TIC, technologies de l’information et de la communication. Sans développer l’historique de ce réseau des réseaux, il est cependant nécessaire de savoir que c’est dès 1957 que le ministère de la Défense américain crée l’Agence pour les projets de recherche avancée (ARPA), dans le but déclaré de mettre au service de l’armée des moyens scientifiques de télécommunications. Rapidement, les universitaires se l’approprieront pour communiquer plus aisément. Le 6 août 1991, Tim Berners Lee rend publique son invention du World Wide Web qui sera mis en circulation à partir de 1993 grâce au navigateur Mosaic, supplanté en 1994 par Netscape Navigator. Dès lors, Internet séduit le monde des entreprises, et les artistes commencent à l’investir. Grâce aux navigateurs (comme Internet Explorer), le réseau a pris une expansion considérable, et il est aujourd’hui accessible à tous. Comment fonctionne-t-il ? Internet est un réseau informatique mondial constitué d’un ensemble de réseaux nationaux, régionaux et privés, qui sont reliés par un protocole de communication et qui coopèrent dans le but d’offrir une interface unique à leurs utilisateurs, à partir de n’importe quel poste dans n’importe quel pays. En effet l'ambition d'Internet s'exprime en une phrase, relier entre eux tous les ordinateurs du monde, par un système mondial d'échange de documents électroniques (textes, fichiers, images, sons et séquences audiovisuelles). Au premier septembre 2008 en France, 68% des ménages possèdent un ordinateur, 62% d’entre eux ont un accès à Internet, et 32,3 millions de personnes y sont connectées. Ce qui nous amène vers 19,7 millions d'abonnés au réseau Internet en France en mars 2010. Le réseau Internet est composé de nos jours de plus de 65 millions d'ordinateurs dans plus de 100 pays. 24 Merveilleux outil de connexion à la société pour les artistes. Comment l'ont-ils investi? En préambule, nous souhaitions mettre en parallèle les contextes historiques, afin d’illustrer dans quelles conditions l’hypothèse d’un art d’Internet a pu éclore. Maintenant que nous l'avons replacé dans le contexte couplé de l'art et des technologies de l'information et de la communication, il est possible de le situer dans une évolution de l'histoire de l'art contemporain. Nous examinerons ensuite, dans une perspective plus large, à quelles spécificités le net-art peut prétendre, et comment. 1.b. Le « net.art » se manifeste Pour autant que l’on puisse déjà donner une histoire du net-art, celle-ci est brève, avec des étapes visiblement marquées, et donne lieu à de nombreux débats de paternité et de primauté. Pour comprendre il faut se replonger encore une fois dans le contexte, celui de son incubation et de sa maturation. Nous sommes dans les années 1993, les premières manifestations du net-art coïncident au moment de bascule où Internet évolue pour être utilisé par toutes sortes d’acteurs dans la société, et plus seulement par la défense ou la recherche. Internet est investi par les particuliers et les entreprises commerciales, entre autres, et acquiert une autre dimension. Tous ces nouveaux outils de communication vont donner des moyens aux artistes, qui vont en profiter pour livrer sur le net des actions qui se voudront artistiques. « Net.art » est le terme le plus souvent employé pour décrire les pratiques artistiques des pionniers sur Internet, entre 1994 et 2001. Il désigne ainsi une période particulière de l'art Internet : « la période héroïque »24 24 « Miniatures of the heroic period » pour la galerie en ligne Art.teleportacia http://art.teleportacia.org/exhibition/miniatures/ , selon l'exposition en ligne du même nom organisée par Olia Lialina, net-artiste russe. Comme le souligne également la critique 25 Josephine Bosma : « au moment où le terme net.art est apparu, il n'y avait pas de terminologie commune pour l'art créé avec ou dans l'Internet, même si des projets en ligne existaient déjà depuis longtemps. L'art créé avec Internet était simplement appelé art médiatique ou art électronique, des termes qui ne couvrent pas les questions de réseau.»25 La paternité du néologisme « net.art » revient à Pit Schultz, fondateur de la mailing liste Nettime Effectivement, comme nous l'avons vu plus en avant, la question de vocabulaire, pour toutes les formes d'art numérique, reste encore une priorité de définition à éclaircir. 26 qui voit le jour au printemps 1995, lors de la Biennale de Venise. Les premiers échanges artistiques se font par emails ou via des forums de discussions, notamment à l'aide de cette première liste de diffusion permet de former des groupes et des réseaux qui faciliteront les échanges. Ces échanges ont permis de mettre en avant les pionniers du netart, Vuk Cosic, originaire de Slovénie, Alexeï Shulgin, Olia Lialina, et Lev Manovitch, de Russie, Heath Bunting d'Angleterre, et Jodi, duo constitué de la néerlandaise Joan Heemskerk, et du belge Dirk Paesmans, qui travaillent entre Barcelone et les Pays-Bas. L’hétérogénéité relative des artistes qui échangent est à prendre en compte, elle illustre très bien l'abolition des frontières permis par le net, les artistes peuvent échanger et diffuser sans aucune contrainte de distance géographique. Vuk Cosic propose en 1996 d'organiser une conférence intitulée « Persée », prétexte à une rencontre physique. Très vite relayé par les artistes dans leurs échanges, le mot net-art est souvent attribué à Vuk Cosic, il sera rendu célèbre par le manifeste de Natalie Bookchin et Alexeï Shulgin Introduction to net.art (1994 - 1999)27 Ce manifeste nous parait essentiel dans l'histoire du net-art, car même si pour un certain nombre d'observateurs il n'est rien de plus qu'une pièce restituée, ce texte pointe pour nous le désir des artistes à se regrouper, à se définir comme un mouvement et à décrire leurs formes artistiques. Point de départ historique, ce manifeste affirme le net-art, qui se déclare et s'exprime. Publié sous la forme d'un plan détaillé en ligne, il ne met en avant aucun signalement artistique, il est en dehors de toute représentation. Cet aspect banalisé, bien évidemment voulu, décrit avec dérision l'émergence du net-art, mais surtout, daté du printemps 1999. 25 Josephine Bosma, The dot on a Velvet Pillow, 2003, consulté en ligne en novembre 2009 sur: http://laudanum.net/cgi-bin/media.cgi?action=display&id=1049201385 26 Première liste de diffusion dédiée au net-art, www.nettime.org 27 Traduction Française : Annick Bureaud et Nathalie Magnan (sous la direction de), Connexions : art, réseaux, médias, Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2002, p 31 à 35. L'oeuvre originale (en anglais) est accessible en ligne sur: http://www.easylife.org/netart/ Natalie Bookchin et Alexeï Shulgin, Introduction to net.art, mars-avril 1999, capture écran du site internet : http://www.easylife.org/netart/ 26 annonce la couleur. Malgré la question de terminologie (net.art ou net-art), C’est ce manifeste, qui apparait à la naissance du mouvement, qui va nous donner les spécificités du net-art, en énonçant les objets et leurs qualités. A travers l'étude du vocabulaire, nous retrouvons l'esprit des net-artistes et les qualités des oeuvres qui seront mises en avant par la critique bien plus tard. Le texte est en anglais, langue souveraine en informatique et sur Internet. Le netart, décrit en un coup d’oeil, est pour eux le « modernisme suprême ». Pourquoi, qu'entendent-ils par là? Selon la légende, le terme net-art s'est presque crée par lui-même, comme une autodéfinition, par un accident et le mauvais fonctionnement d'un logiciel au cours d’échanges sur le net. Dès les premières phrases, les paradoxes des oeuvres sur le net se font sentir. Nous palpons une certaine rébellion, une mise en marge des artistes, exprimée par un ton cynique. Néanmoins cela n'empêche pas les artistes d'être lucides sur leur pratique artistique. Même si ils ont la volonté de se tenir indépendants de toutes institutions, cela ne signifie pas pour eux se tenir dans un univers secret, coupés du monde de l'art. Les netartistes ont conscience que le réseau Internet est une formidable annonce, mais que toutes les offres sont contigües: la distance entre les genres sont brouillés par le fonctionnement même d’Internet. Le net-art cherche à démolir des disciplines et des classifications qui sont pour eux démodées, tout en restant autonome. En gros, 0% de compromis, notamment donc en maintenant son indépendance des « bureaucraties institutionnelles », mais en « travaillant sans marginalisation et en réalisant une audience, du dialogue et de l’amusement ». Programme plutôt chargé, qui peut paraître idéologique me direz-vous. Ils s'en expliquent dans tout le reste du manifeste, ils sont même très précis sur la marche à suivre. Avec anarchie et spontanéité, à l’image de TAZ28 28 BEY, Hakim, Zone Autonome Temporaire, éditions de l'éclat, Paris, 1997. , leur but
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