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Quand un média devient un médium
L’utilisation équivoque des technologies de l’information et de la communication
dans la création artistique contemporaine: le cas du net-art.
Résumé :
Le net-art, bien plus que l’art numérique, bouleverse non seulement les rapports
traditionnels entre l’auteur, l’oeuvre et le spectateur, mais les mécanismes même de la
circulation de l’art, sa contribution à la culture. Celui-ci pose à l’évidence la question de la
relation entre l’art et la technique, la question de la place du spectateur, la question des
disciplines de l’art entre elles, et enfin, la question de la place et des fonctions de l’art dans
la culture contemporaine.
Le net-art est un objet d'étude très original dans le cadre de la réflexion sur les
technologies de l'information et de la communication dans la société. Il apparaît important
de cerner le potentiel d'inventions techniques et sociales que le net-art génère, au niveau
des créations artistiques, des musées, et de la société. Est-il porteur d'interrogations sur
l’Internet, d'une critique, ou bien facteur de nouvelles modalités d'intensification des
technologies de l'information et de la communication dans la société ?
Mots clés : art | Internet | net-art | oeuvres | exposition
Introduction générale…………………………………………………………………………………………p.1
Anatomie des oeuvres du net-art…………………………………………………………………….p.13
1. Panorama critique historique et enjeux………………………………………………………………..p.17
a. L’utilisation des TIC dans l’art……………………………………………………..p.18
b. Le « net.art » se manifeste…………………………………………………………p.24
c. Une historiographie partielle……………………………………………………..p.29
2. Construction des oeuvres………………………………………………………………………………………..p.31
a. Structuration des oeuvres, la technique avant l’esthétique………..p.32
b. Les premières explorations de médium………………………………………p.40
c. Filiations entre rupture et continuité…………………………………………..p.48
3. Le visible technologique de l’art sur écran…………………………………………………………..p.69
a. Matériel in situ……………………………………………………………………………..p.70
b. Le net-art comme questionnement du médium numérique………p.73
Conclusion partielle………………………………………………………………………………………………………..p.79
Articulation des processus de légitimation……………………………………………………p.83
1. Les environnements du net-art entre norme et déstabilisation……………………p.86
a. Des oeuvres/sites non identifiables…………………………………p.88
b. Identités numériques………………………………………………………p.92
c. Interactivités interrogées………………………………………………..p.97
2. Le lieu du net-art……………………………………………………………………………………………….p.103
a. Comme représentation de la notion d’exposition…………..p.105
b. Internet en tant que dispositif de médiation………………….p..113
3. Répercutions sur les mondes de l’art………………………………………………………………p.121
a. Circonscrire les oeuvres en ligne……………………………………p.122
b. Le net-art comme objet muséal……………………………………..p.135
Conclusion générale……………………………………………………………………………………………p.146
Bibliographie…………………………………………………………………………………………………………p.153
1
Introduction générale
L’art contemporain est manifestement devenu à la mode.
Malgré les idées reçues, l'art contemporain ne cesse de s'imposer dans le paysage culturel
français, et rencontre les faveurs d'un public toujours plus large. Au point qu'il est
désormais exposé par les lieux patrimoniaux les plus prestigieux tels que le Louvre, le
musée d'Orsay, et bien sûr le Château de Versailles, qui n’hésitent pas à confronter art plus
classique avec des créations contemporaines pour se mettre aux goûts du jour, créant par
la même occasion de nombreuses polémiques. A la fin du mois de décembre, comme
chaque année, se sont tenues à Paris simultanément pas moins de cinq foires d'art
contemporain. C’est environ cent cinquante biennales d’art contemporain qui ont vu le jour
dans le monde au cours de ces vingt dernières années, assurément plus de foires, et plus
encore de manifestations et festivals. Autrement dit, c'est sous la forme d’évènements
ponctuels, se rapprochant du spectacle, que l’art contemporain est sorti de l’atelier, des
friches des années 1980, de la marginalisation, et qu’il fait depuis exploser le marché. Pour
rester concis, c’est avec l’évolution de la notion d’exposition, qui s’est accélérée ces trente
dernières années, que s’est déployée cette reconnaissance. C’est en énonçant les règles de
l’exposition, tous ses métiers, en étudiant ses publics, en peaufinant le communication, en
mettant en place des outils de médiations, que la maîtrise rationnalisée de l’exposition s’est
mise en oeuvre progressivement, générant dans les lieux de monstration
professionnalisation, industrialisation, voire même spectacularisation de l’exposition et de
toutes les composantes du musée, comme la collection permanente. Toutes ces actions
consécutives ont contribué à éduquer notre regard à l’art contemporain, à un certain art
contemporain, et ont permis l’émulation dans la cité.
Qu’en est-il des oeuvres ? Si nous nous plaçons dans une situation chronologique
d’histoire de l’art qui montrerait le basculement d’un mouvement par un autre, la
modernité du XXe siècle serait logiquement, irrémédiablement suivie, pour ne pas dire
remplacée, par l’art contemporain. Le terme «contemporain» pourrait simplement affirmer
que nous sommes en phase avec notre époque, avec ce monde qui est entrain de se jouer.
Que l'on s'inscrit dans le processus de mutation du monde, sans s'interdire de le critiquer
2
ou d'en dénoncer certains aspects. Mais l'inflation de popularité du terme est à la mesure
de ses ambiguïtés sémantiques, en art particulièrement.
De nombreux artistes se disent à tort contemporains du fait qu’ils soient vivants. Or
un artiste vivant va donner vie à des créations contemporaines certes, mais celles-ci ne
seront pas forcément reconnues comme étant de l'art contemporain par les professionnels
de l’art. Nombreux sont les personnes qui affectionnent de peindre à la manière des
impressionnistes encore aujourd’hui, même si cela ne se justifie pas dans une pratique de
l’art qui se fonderait sur la chronologie de l’histoire de l’art, comme parler « d’avantgarde
» aujourd’hui pour parler des toutes dernières créations expérimentales serait un
anachronisme car l’avant garde existe dans un temps donné, celui de la première moitié du
XXème siècle. Si les artistes travaillent et développent des oeuvres aujourd’hui dans des
formes qui les éloignent des institutions culturelles et du marché amplement acquis au
contemporain, revendiquer le label «contemporain» est pour eux une tentative de rentrer
dans les territoires aujourd'hui les plus actifs de l'art.
Un écueil inverse, pour qui veut être contemporain, est de vivre avec son temps et
ses objets. C'est notamment le cas, depuis quelques années, des artistes qui déploient une
surenchère de technologies numériques, de matériaux nouveaux, de dispositifs
sophistiqués, à partir de cette idée erronée selon laquelle être à la pointe des innovations
de l'époque serait la meilleure façon d'être un artiste contemporain, de révolutionner l’art
en créant des oeuvres « nouvelles », adjectif souvent joint dès que l’on parle de
technologies.
L’art dit numérique, qui détermine les oeuvres d’art utilisant des technologies
numériques dans leur mise en oeuvre, est de fait lui aussi à la mode, et commence à nous
être familier. A la fin du XXe siècle apparaît progressivement au public une forme de
création artistique singulière, un courant qui utilise les sciences, l'ordinateur, Internet et
plus largement les nouvelles technologies numériques comme pinceaux et comme toiles,
comme outils et comme supports, que l’on appelle « l'art numérique ».
Cela fait déjà quelques décennies que l’art utilise les nouvelles technologies comme des
outils de création. Les artistes sont friands de découvrir et d’essayer de nouveaux médiums
pour diversifier leurs oeuvres. Pourtant de nombreux amalgames sont faits avec ce terme.
Qui peut dire ce qu’est l’art numérique ?
3
Nous avons pu dresser un panorama général de ces oeuvres dans nos recherches
précédentes et les discuter. L’utilisation des technologies dans l’art n’est pas si nouvelle, et
l'engouement récent de la presse et des institutions n'en font pas pour autant un sujet
connu, ni surtout maitrisé. Sa définition est encore floue et non arrêtée, ses formes
d’oeuvres sont très variées et non figées : photographies, vidéos, sculptures, projections,
installations. Cela veut-il dire pour autant que tout objet puisse être numérique dès
l’instant ou celui-ci utilise un matériau numérique dans sa technique? Effectivement
l’utilisation du numérique est récurrente de nos jours pour la diffusion des oeuvres, pour la
production, pour l’archivage. Les nouvelles technologies dans l’art servent-elles
uniquement de dispositif de monstration ou sont-elles de réels médiums de création ? En
bref, est ce que l’utilisation des technologies numériques renouvellent la création artistique
contemporaine ? C’est ce que nous avons tenté d’établir par de nombreuses recherches
auparavant. Mais surtout, ces recherches nous ont amenées à sortir du général de cette
catégorie pour nous demander si l’une de ces formes n’a pas plus de résolution que les
autres.
Est-ce que l’utilisation des technologies de communication dans l’art se contente
simplement de recréer les oeuvres dites traditionnelles sur des supports numériques ? Y a-til
des artistes qui réfléchissent sur le médium numérique en particulier ? C’est ainsi que
nous avons pu mettre en avant un mouvement précis qui est considéré comme une sous
partie de dans l’abondante famille de l’art numérique, appelé le net-art. Il est pour nous
incontestablement la forme d’art numérique qui questionne le médium et apporte des
spécificités propres et nouvelles à l’art contemporain. Mais est-ce que cela suffit à
développer une nouvelle pratique artistique ?
Dans un premier temps, il convient de délimiter et de questionner notre champ
d'étude. Qu’est-ce qu’est le net-art ? Quelle acception ce terme a-t-il pour nous et pour les
expérimentés en art numérique? En prenant en compte l’état contemporain des créations
artistiques, nous pouvons maintenant envisager le net-art selon une approche dialectique.
Nous espérons rendre les objets et les méthodes plus clairs, il nous faut donc commencer à
définir les choses, à les nommer, à s’entendre sur des termes pour connaitre et cerner
notre sujet.
4
Depuis une quinzaine d’années, le net-art s’impose en France où il désigne les
créations interactives conçues par, pour et avec le réseau Internet.
Il nous faut aussi revenir sur une question de vocabulaire. Ce qui dépend des nouvelles
technologies résulte de nouvelles pratiques et par conséquent de nouveaux termes. Mais
ces termes ne sont pas encore figés, et manquent même parfois. L'art d’Internet reste un
pan de la création méconnu sur le marché de l'art contemporain. Peu d'études théoriques
ont été menées pour caractériser, catégoriser et évaluer ces différentes pratiques. Ainsi,
beaucoup d'articles, textes et document tentant d'approcher le net-art utilisent des
vocables galvaudés entraînant confusions et incompréhensions chez le lecteur. Il faut
pourtant bien nommer les objets, et il est difficile de s’inventer de nouveaux vocabulaires.
Les vocables autour de la création en ligne sont multiples et ne sont pas nécessairement
équivalents. Selon les auteurs, ils peuvent prendre des connotations différentes. Plusieurs
théoriciens, artistes ou collectifs d'artistes se disputent la légitimité de chaque vocable.
Aussi il n’est pas rare lors d’une conférence que chacun s’avance pour prouver la
pertinence de son mot. Ou même, que l’on utilise plusieurs terminologies pour décrire la
même chose. Web art, art en réseau, ou encore art Internet, chacun ont des petites
nuances, et il n’existe aucun consensus bibliographique. Le terme « Web art » est trop
réducteur en ce qu'il n'appréhende que les oeuvres qui prennent la forme uniquement de
sites Web. Le vocable « art en réseau », parfois utilisé pour décrire l'art en ligne, est très
imprécis car il renvoie à de nombreuses pratiques artistiques, autant analogiques que
numériques. Plus récemment, nous constatons la généralisation du terme « Art Internet »,
repris par le britannique Julian Stallabrass1?, maître de conférence en histoire de l’art à
l’Institut Courtauld à Londres, et l'américaine Rachel Greene2?, actuellement directrice de
Rhizome.org3
1 STALLABRASS, Julian, Internet Art. The Online Clash of Culture and Commerce, Tate Publishing, Londres, 2003.
2 GREENE, Rachel, L’Art Internet, Thames & Hudson, Paris, 2005.
, dans leurs deux ouvrages respectifs. Ce vocable, totalisant, a le mérite
d'affirmer la notion de réseau et d'englober l'ensemble des créations en ligne, sans
distinguer les différentes esthétiques et les différentes périodes. L'art Internet devient un
terme générique, qui permet de simplifier et de démystifier le phénomène, même s'il ne
rend pas compte de la diversité des approches et des pratiques.
3 Rhizome.org est une des plateformes Internet la plus active qui promeut le net-art.
5
Pourtant, c’est la typographie net-art qui retiendra notre attention, pour deux raisons.
Parce qu’il s’agit du terme historique pour décrire cet art, ce qui lui donne une certaine
légitimité, même si celle-ci est bien entendu discutée. Mais surtout parce que c’est sous ce
vocable que l’art d’Internet trouve une reconnaissance dans le monde de l’art ces dernières
années. S’il existe depuis les années quatre vingt dix, c’est depuis très récemment qu’il
rencontre une certaine ferveur dans les centres d’art, les festivals, les conférences et les
écoles d’art. Reconnaissance qui s’explique par l’expansion d’Internet dans toutes les
sphères de nos activités, et les nouvelles pratiques qu’il apporte. Ainsi, pour Julian
Stallabrass, « écrire à propos de l'art sur Internet revient à essayer de fixer en mots, un
phénomène extrêmement instable et changeant, inextricablement lié au développement
d'Internet lui-même »4
Ici, nous ne parlerons pas de l’utilisation générale des technologies dans l’art, mais
strictement de l’utilisation du médium Internet. Car en effet, le net-art semble pousser au
paroxysme les problématiques que l’utilisation du numérique dans l’art soulève, exploiter
au mieux les qualités d’un matériau nouveau. Est-ce avec Internet que l’art s’empare des
spécificités du numérique ? Voilà notre intuition, il nous faudra établir si elle se vérifie. Il
nous semble même que ce sont les spécificités du net-art qui vont nous amener à nous
questionner sur les enjeux de l’art numérique lui-même. Nous avons pu voir que les arts
. Les auteurs utilisent indifféremment différentes typographies : Net
Art, net art, net-art, net.art, etc. Il faut nous mettre d’accord : nous avons retenu net-art,
qui présente l’avantage d’établir une référence directe à Internet. Nous conservons aussi le
trait d’union afin de marquer qu’il s’agit d’un néologisme entre Internet et art. En revanche,
nous ne conservons pas de majuscules, pour la raison que le net n’est pas une marque mais
un nom commun, et qu’il ne s’agit pas de l’art avec un grand A comme lorsque l’on veut lui
donner des qualités ou une unité de valeur.
Depuis les années soixante, les artistes se sont d’abord emparés des ordinateurs
puis des nouvelles technologies comme outils de recherche esthétique, de création et
comme médiums d'exposition. Le numérique est devenu ainsi non seulement un support
de médiation de l'art servant à diffuser mais aussi un médium artistique en soi.
4 STALLABRASS, Julian, Ibid, p 10/11.
6
numériques posent de nombreuses questions propres aux créations artistiques : la notion
d’immatériel et de copyleft attitude redéfinissent le statut de l’objet et de l’auteur, et font
évoluer les espaces d’exposition, avec des installations qui prônent la participation et
l’immersion, magnifiant leur caractère d’oeuvres spectacles. Internet apporte
indéniablement à l’art numérique une force et un poids qui fait prendre aux technologies
dans l’art une nouvelle tournure. Nous pouvons citer l’immédiateté du temps réel, la
participation du web 2.0, l’ubiquité et la diffusion mondiale que cet espace apporte.
Comment le réseau est-il utilisé ? Que génère-t-il ? Est-il porteur d’interrogations
sur l’outil Internet, d’une critique, ou bien facteur de nouvelles modalités d’intensification
des technologies de l’information et de la communication dans la société ?
Mais plutôt que de problématiser certaines notions déjà abordées dans nos écrits
précédents, nous allons tenter de mettre en avant une certaine méthode qui pourrait nous
permettre de définir et de reconnaître ces oeuvres du net-art, crées pour, par et avec
Internet. Cette forme artistique, qui entame sa présence dans les événements culturels et
que les parties prenantes tentent de théoriser, interroge de manière parallèle les pensées
de l'art et de la communication, puisqu’elle allie création et Internet, que l’on qualifie
comme un outil de communication. Pourtant l'utilisation d'une TIC, Technologie de
l'Information et de la Communication, pour créer, parait presque être une invraisemblance.
Comment faire de l’art avec une technique de diffusion ? Comment cette union est-elle
survenue ? Le fait même de penser une oeuvre du net-art comme toutes les autres oeuvres,
comme un objet fixe, pose problème. Nous allons le considérer comme un objet pour
pouvoir l’étudier, mais sa forme est de fait instable, forcément présentée sur un site
Internet, hébergé par un serveur, comme toutes les autres formes de communication que
l’on va trouver sur le net. En effet, Internet constitue un espace commun à toutes les
personnes connectées qui accueille tout type d'activité, commerce, échange
d’informations, loisirs. Cliquer sur le site d’un supermarché, sur le blog d’un ami ou sur une
oeuvre du net-art est le même type d'acte, qui va s'inscrire de la même façon sur le même
écran, dans la même fenêtre. Comment montrer de l’art et se faire reconnaitre comme tel
dans la nébuleuse de la toile ? Il semble que cet art tente de renouveler une esthétique,
tout en renouvelant une médiation de l'art, ainsi que sa réception. Ces concepts ne peuvent
être réellement définis, dans toute leur complexité et leur actualité, qu'au fur et à mesure
de notre analyse.
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Il nous faut rappeler que nous nous situons plus dans une analyse esthétique, reliée
à une démarche d’histoire de l’art, face à un terrain suffisamment jeune à étudier. Comme
pour les arts dits numériques, c’est encore à une technique que l’on doit le net-art.
Pourtant nous ne pouvons encrer notre réflexion à travers les prouesses techniques ou la
manière dont les technologies sont utilisées dans l’art, car nous ne sommes pas des
spécialistes en informatique ou en programmation, même si nous verrons que ces notions
techniques rejoignent bien souvent la forme esthétique des oeuvres. Nous ne discuterons
pas non plus des qualités sociologiques de cet art, qui sont pourtant présentes,
essentiellement dans sa réception et sa diffusion. Nous avons de préférence choisi de
prendre la question du net-art par le biais de son objet, l’art. Nous parlerons des oeuvres,
des artistes et des pratiques artistiques liées à cette technologie de la communication, pour
voir comment les technologies viennent au monde de l’art pour engendrer, peut-être, de
nouvelles pratiques et de nouvelles problématiques de monstration.
Notre objectif est d’arriver à dresser un état des lieux de ces oeuvres et de ces
environnements. Pour cela notre priorité est de baliser le paysage du net-art. Celui-ci
représente la figure la plus radicale entre tous les arts numériques : par et pour le Web. La
question du dispositif est centrale, dans le processus de création mais aussi dans celui de la
diffusion. Des oeuvres autonomes qui n’ont littéralement plus besoin des institutions, mais
par la même occasion qui éprouvent des difficultés pour s’insérer dans le marché de l’art.
Elles manquent donc de reconnaissance, élément essentiel dans le développement d’un
courant artistique. Malgré cela, en contrepartie, ces créations ont donné lieu à leur monde
de l’art, à l’émergence de nouveaux acteurs, et à la réaction des institutions. Qu’en est-il
vraiment ?
Nous parlerons tout d’abord et en priorité des oeuvres, en les considérant comme
des objets à étudier, pour étendre au fil des parties ces objets sur leur support et vers leurs
environnements, et ainsi ouvrir nos perspectives. Nos recherches sont présentées en deux
parties, qui espèrent dresser le paysage du net-art. La première que l’on peut définir
comme historiographique nous permet d’établir le pan théorique, de poser les
questionnements qui vont nous aider à reconnaitre les oeuvres du net-art. Il s’agit dans un
premier temps de définir et cerner cet objet d’étude bien spécifique pour ensuite pouvoir
l’analyser. Si le net-art existe, à quoi ressemble ses oeuvres ? Comment est-il apparu ?
8
A-t-il surgit en même temps que son support ou se situe-t-il dans une filiation avec l’histoire
de l’art que l’on connait ? Cette première partie méthodologique se concentre sur les
aspect esthétiques des oeuvres, en questionnant les objets et les acteurs, tentant de définir
des typologies si cela est possible pour mettre en avant certaines spécificités, si bien sûr il y
a. Les artistes s’emparent très vite des ordinateurs, et plus tard d’Internet que nous ne
présentons plus. Le net-art se manifeste véritablement dans la deuxième moitié des années
1990, date à laquelle les gouvernements assouplissent les conditions d'admission à Internet
pour les particuliers. Dès lors, Internet séduit le monde des entreprises, les ordinateurs
s’installent dans nos foyers, sont de plus en plus accessibles et de plus en plus présents
dans toutes nos activités. L'extrême technicité des oeuvres, l'absence de visibilité des
artistes sur le marché de l'art et la multiplicité des démarches ont longtemps contribué à
occulter l'art Internet du champ de l'art contemporain. Les premiers net artistes, pour la
plupart des informaticiens, s'engagent à repenser la relation entre art et technique. La
frontière entre ces deux notions apparaît particulièrement mobile et suscite un véritable
débat. Ce sont ces pré-requis donnés à la fois par les professionnels, diffuseurs, chercheurs,
et les artistes eux-mêmes, que nous allons étudier.
Il s’agira de montrer que le net-art, en réalité, n’est pas autre chose que l’art du
net : une pratique à la fois ordinaire car faisant partie du quotidien, et pourtant éclairée de
l’outil Internet. Un pratique qui a le souci de la beauté intrinsèque du réseau, et qui en
observe les qualités que l’on trouve dans les principes fondateurs de l’Internet. Il s’agit
d’une certaine historiographie, racontée par les parties prenantes, mais qui nous permet de
situer ces créations dans une continuité avec l’histoire de l’art pour comprendre ses
formes, et qui montre aussi une rupture avec l’utilisation d’Internet et les nouvelles
problématiques que cela va apporter dans l’art. De quoi s’inspire le net-art ? Dénonce-t-il
quelque chose ? Quelles sont ces réelles spécificités qui lui sont propres, si il y a ? Nous
devrons faire la présentation des sources et des accès, bibliographie, webographie, pour
être au plus proche des oeuvres. Car ce qui reste essentiel dans la compréhension du netart,
c’est que chacun en face l’expérience.
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Il est assez paradoxal de devoir décrire les oeuvres et les montrer fixes, alors
qu’elles prennent vie sur un réseau de diffusion, en ligne. L’expérimentation des oeuvres est
aussi l’une de leurs particularités : elles fonctionnent par l’expérience du spectateur qui
met en route l’oeuvre et devient opérateur. Cependant, ce qui se recoupe sous le terme
vaste de l’interactivité, est à remettre en question. Quelle interactivité ? Quelle
participation du spectateur ? Dans quel but ? Si le réseau Internet, conçu par le
Département américain de la défense, était initialement réservé aux militaires, aux
chercheurs et aux universitaires, les artistes ont su, très tôt, prendre une part active au sein
du réseau. Les potentialités d'incrémentation du champ des possibles qu'offre le réseau
Internet ont permis aux artistes de repenser les présupposés philosophiques et plastiques
au sein de l'espace virtuel. La formule d'Oscar Wilde, selon laquelle «toute nouvelle
technologie implique une nouvelle forme d'art»5
Le net-art se situe donc au confluent de deux grands progrès techniques de la
seconde moitié du XXe siècle, l’informatique et la télécommunication. Comment art et
Internet peuvent-ils cohabiter ? Après avoir abordé les objets, nous étudierons les multiples
environnements du net-art, à savoir les sites Internet d’abord, pour finir par le milieu même
de l’art. Car pour saisir vraiment une pratique, il faut connaitre son institutionnalisation, et
pour comprendre cette institutionnalisation il nous faut étudier les environnements du netart,
sa diffusion, son marché. Si de plus en plus de festivals et de lieux sont consacrés au
numérique, quelle est la part dédiée au net-art ? Pour la première fois, les modes de
production et les modes de réception de l’image sont réglés par la même technique et par
le même outil. Notre parcours nous conduit jusqu’à la question de l’insertion
prend ici toute sa coloration.
Nous proposons de ce fait de nous déplacer de la simple dimension technique de l’image
numérique du net-art à son extension pratique, afin de réfléchir sur la notion de texture
numérique, pour comprendre comment l’art peut fonctionner sur un écran numérique.
Qu’est ce que cela change au niveau des effets de matière ou de vision, de tissu ou de
réseau, et de contexte. Quelles sont, à travers le net-art, les contradictions, constances et
mutations de ces concepts ? En retour, permettront-ils de spécifier le net-art, et en
causalité l’art numérique, autrement que par ses propriétés techniques ?
5 Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray, 1891.
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institutionnelle des oeuvres numériques qui ont la particularité d’être diffusées en ligne, sur
Internet, et qui ne doivent à priori pas être vues off line, hors d’Internet. Il semble
impossible de palper une oeuvre sur le net. Comment peuvent-elles être diffusées au vue de
leurs particularités ? Comment les délimiter ? Même si elles n’ont pas la forme des sites
habituels, elles se présentent sur un site Internet, avec plus ou moins d’arborescence. Elles
reprennent des codes utilisés pour d’autres formes que nous pouvons considérer comme
des créations de communication, des sites de commerces, des sites de musées, des blogs
etc. Pouvons-nous reconnaitre les oeuvres du net-art entre les autres objets du net ?
Puis nous déploierons encore un peu nos perspectives pour nous intéresser aux
artistes eux-mêmes. Lorsque nous nous penchons un peu plus sur le processus de création
du net-art, un autre aspect des oeuvres apparait. Un nouveau genre de collaborations, un
nouveau genre d’artistes apparaissent, ils sont aussi bien programmeurs, scientifiques
qu’artistes, et évoluent en même temps que la technique. Ils jouent avec notre rapport à
l’écran mais aussi avec les mots. Nous irons voir du côté des identités des net-artistes.
Quelles identités numériques ont-ils ? Internet est un espace public non traditionnel, et ce
n’est pas qu’un espace documentaire : il a été dès l’origine un outil conversationnel. Le nom
que l’auteur d’un site utilise pour communiquer, l’identité qu’il se crée, son avatar, comme
l’adresse du site, nous donnent des indications sur le rapport que le créateur va entretenir
avec son oeuvre. Cela nous permettra de mettre en avant des démarches différentes et de
distinguer les usages divers que les artistes font d’Internet. L'avènement du « Web 2.0 »,
l'Internet nouvelle génération participatif, a notamment permis de démocratiser les
réseaux de socialisation. Cela se retrouve-t-il dans les oeuvres ? Pouvons-nous alors parler
d’art social, comme l’on parle du web social pour décrire les échanges sur Internet ?
Nous devrons comprendre si la patrimonialisation du net-art est possible. La
première approche historique du net-art que nous avons vu révèle non seulement une
certaine ambiguïté esthétique, mais également un manque de reconnaissance
institutionnelle évident. Ce manque est fondamental dans l'étude de cet art et de ses
médiations dans la mesure où l'appropriation (ou l'in-appropriation) institutionnelle de ce
courant, la difficulté pour les médiateurs d'identifier ce champ artistique, semblent
constituer des acteurs à part entière de son identité. Comment institutionnaliser un art
défini par sa « ponctualité »? Absent des foires internationales et de la plupart des
institutions culturelles, souvent ignoré par la critique, l'art Internet reste relativement
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méconnu du public. Quels sont les acteurs qui ont fait cet art ? Historiquement, la diffusion
s'est principalement concentrée autour de quelques collectionneurs initiés, institutionnels
ou privés, et soucieux de constituer des collections d'avant-garde, ainsi que d'un nombre
restreint d'informaticiens éclairés. La politique d'acquisition d'oeuvres d'art Internet est
largement marginale et sous dimensionnée par rapport à l'offre. Nous étudierons les
interactions des acteurs entre eux et avec leurs environnements, puis nous analyserons
leurs positionnements face au public et sur le marché, pour parler d’exposition et enfin de
conservation. Nous verrons des sites d’artistes, des plateformes de diffusion, des festivals,
des institutions patrimoniales pour répondre aux questions de monstration et conservation
où coopèrent les nouveaux acteurs et les institutions. Les possibilités du réseau ont été
explorées et exploitées pour créer un art sans médiation entre l’artiste et l’internaute, le
créateur et le spectateur/regardeur/visiteur/acteur. Un art éphémère, qui est basé sur
l’information et non pas autour de l’objet. Un art en perpétuelle mutation du fait du flux de
données d’Internet, des changements de protocoles ou de serveurs, des développements
technologiques. Un art où la notion de paternité explose. Une pratique artistique où les
artistes sont leurs propres critiques, galeries, agents, commissaires d’exposition… Le net-art
questionne l’institution muséale, et parallèlement, le musée s’intéresse au net-art, et ce,
depuis quelques années. Le musée est une institution basée sur une collection de biens
culturels mobiliers inaliénables et le net-art, une production artistique immatérielle,
éphémère, basée sur de l’information. Cependant, les musées exposent, commandent,
collectionnent, conservent des oeuvres de net-art, même si ces actions sont minimes.
Le net-art bien plus que l’art numérique bouleverse non seulement les rapports
traditionnels entre l’auteur, l’oeuvre et le spectateur, mais les mécanismes même de la
circulation de l’art, sa contribution à la culture. Celui-ci pose à l’évidence la question de la
relation entre l’art et la technique, la question de la place du spectateur, la question des
disciplines de l’art entre elles, et enfin, la question de la place et des fonctions de l’art dans
la culture contemporaine. L’utilisation d’une technologie de la communication dans l’art
apparait ainsi comme un nouveau milieu, un nouvel environnement qui vient tisser, tramer,
ordonner les coordonnées d’un nouvel espace, ou plus encore, ré agencer les rapports
entre nouveaux et anciens espaces d’exposition.
12
Le net-art nous amènera-t-il vers de nouvelles propositions muséographiques, vers de
nouveaux modèles d’expositions, ou peut-être même vers une nouvelle acception du mot
exposition ?
Le net-art est un objet d'étude très original dans le cadre de la réflexion sur les
technologies de l'information et de la communication dans la société. Il nous a alors semblé
important de jeter un regard croisé, artistes et chercheurs, sur ce qui est encore considéré
de façon assez floue, pour toutes les raisons que nous avons énoncé. Nous avons donc
souhaité saisir les enjeux relatifs à cette forme d'expression fondée sur les technologies
informatiques et le réseau Internet. Il apparaît également intéressant de cerner le potentiel
d'inventions techniques et sociales que le net-art génère, au niveau des créations
artistiques, des musées, et de la société. Est-il porteur d'interrogations sur l’Internet, d'une
critique, ou bien facteur de nouvelles modalités d'intensification des technologies de
l'information et de la communication dans la société ?
Il est temps pour nous de rentrer dans le vif du sujet, pour vérifier ou remettre en
cause les pré-requis du net-art.
13
Anatomie des oeuvres du net-art
14
Les nouvelles technologies et les nouveaux médias sont omniprésents dans les
articles, les éditions, et pas seulement dans les revues spécialisées en sciences et
techniques. La technologie est un inlassable sujet d’actualité. Depuis que note société
prône le changement6
Internet a conquis en quelques années la place que l’on sait dans le monde
contemporain, et accroît sans cesse les possibilités d’atteindre les sources d’information et
de documentation les plus variées. Les entreprises, les particuliers l’ont investi pour de
diverses activités. Des termes comme Google deviennent presque des noms communs,
voire des verbes, pour qualifier certaines action sur le net qui n’ont pas encore
d’appellation. Les institutions, les professionnels, les lieux de recherches et d’expositions,
comme les artistes utilisent Internet comme un moyen supplémentaire de communication,
mais aussi de diffusion, principalement grâce à la numérisation de données, qui aide aux
archives, aux bases de données, à la collection, et de fait à la recherche. Et lorsque l’on
parle de création ? A l’ombre de cette montagne de services, commerciaux ou non, se
développe, assez confidentiellement, un ensemble de propositions artistiques dont les plus
anciennes ont une quinzaine d’années d’existence, et qui se déploient comme une
comme un passage obligé pour évoluer et devenir, forcément,
meilleur, on fait la publicité des nouvelles techniques, mais encore plus depuis que
l’avancée de ces techniques est très rapide et s’invite dans notre vie de tous les jours, nos
foyers comme nos lieux de travail. Notre société est maintenant basée sur le numérique, de
nombreux loisirs sont accessibles par le biais des nouveaux médias, tout comme
l’information, notre travail y est relié.
Cette mouvance n’échappe pas au monde de l’art. Cela fait déjà quelques décennies que
l’art utilise les nouvelles technologies comme des outils de création. Les artistes sont
friands de découvrir et d’essayer de nouveaux médiums pour diversifier leurs oeuvres. Art
vidéo, art numérique, net-art, bio-art… Avec la flambée de l’intérêt des particuliers pour ces
formes, ordinateurs et Internet, mp3, consoles de jeux vidéos, et les nouvelles générations
qui baignent dans l’utilisation de ces pratiques depuis le début de leur éducation, les
nouvelles technologies et les nouveaux médias envahissent la création artistique, du moins
sont beaucoup plus médiatisés.
6 CHARBONNIER, Georges, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Paris, Union Générale d’Editions, coll.10/18,
1961, p. 37-48.
DUMONT, Fernand , « L’idée de développement culturel », dans Le sort de la culture, Montréal, L’Hexagone,
1987, p.19-48.
15
excroissance du domaine plus vaste et plus reconnu qu’est l’art numérique. Ces
propositions, qui allient art et Internet, sont regroupées par les professionnels sous le
terme de « net-art ». Quel peut bien être ce type de création ? Quelle acception ce terme at-
il pour nous et pour les expérimentés en art numérique?
Depuis une quinzaine d’années, le net-art s’impose en France où il désigne les
créations interactives conçues par, pour et avec le réseau Internet. Sous l’appellation netart
s’engage donc un art qui regroupe l’ensemble des pratiques artistiques utilisant Internet
de façon active au coeur de leur travail de production. L’art sur réseau exploite le réseau
comme un simple outil de communication et sert à diffuser des oeuvres qui ne doivent rien
à la technologie du réseau. L’art en réseau, au contraire, tente d’exploiter les spécificités du
réseau et les possibilités esthétiques nouvelles qu’il offre. Il faut bien faire cette distinction
entre les oeuvres dites classiques qui vont pouvoir être numérisées pour être diffuser sur
Internet, du type sites galeries et autres musées virtuels ou bases de données, qui sont de
simples sites de diffusion qui utilisent Internet dans un but de communication. Et les
oeuvres du net-art, qui tentent au contraire d’exploiter les spécificités du réseau dans leur
exécution, et qui semblent être les seules à lier véritablement la création aux nouvelles
technologies de la communication. Nous tenterons de montrer que le net-art est une
pratique précise et sensible du réseau qu’est Internet, et qu’il fonctionne en intelligence
avec son écosystème. Nous faisons donc la distinction entre de « l’art sur le net », et le
« net-art ».
Comment saisir cette nuance et différencier ces deux types de création ? Une
oeuvre plastique, peinture, photographie, sculpture, qui se trouve sur le net, est déclarée
artistique car elle présente toutes les apparences convenues de l’art reconnu comme tel.
Ce sont, par exemple, toutes les formes d’oeuvres que l’on voit sur les sites web d’artistes
de tous types, qui ont numérisé leurs créations pour les mettre sur Internet afin de les
diffuser, tout du moins afin de communiquer autour de leur art. Ces objets d’art ne sont
pas du net-art. Ils ne sont pas faits par et pour le réseau Internet.
Ils sont en visibilité sur la surface de la toile mais ne font pas partis de la réalité du réseau.
Pour qu’une oeuvre puisse être déclarée du net-art, pour nous mais aussi pour de
nombreux critiques et artistes, il lui faut être conçue spécialement par et pour le réseau.
L’oeuvre du net-art n’existe alors que dans la réalité réticulaire de notre rapport à l’écran
16
qui nous permet de consulter Internet, et de « voir » son art. Sa matière n’est pas
seulement numérique, elle fait partie intégrante du flux « on-line » du réseau. Ainsi, elle ne
devrait pouvoir exister en dehors du réseau. Il ne suffit pas non plus que les oeuvres soient
crées avec Internet pour être véritablement du net-art. Nous nous en expliquons. Il est
possible par exemple qu’une oeuvre soit qualifiée ainsi car elle aurait été réalisée par des
artistes qui utilisent le net pour faire de l’art. Or ce sont, pour la plupart, toujours des
objets d’art selon les critères dévolus aux oeuvres matérielles comme nous les avons citées
plus haut, quand bien même ils seraient conçus spécialement pour le net. Dans les faits, il
ne suffit pas de réaliser des objets d’art pour le net pour que ces objets soient, selon nos
critères toujours, qualifiés de net-art. « Pour qu’une oeuvre soit du net-art, il lui faut
intégrer ce qui fait la nature même d’Internet et être en intelligence avec l’esprit qui lui a
donné corps. Disons-le d’une formule simple : le Net-art c’est l’art du Net »7
7 MOREAU, Antoine, La voie négative du Net-art, dans la revue Terminal n°101, printemps 2008.
, qui doit
utiliser les spécificités propres à Internet. Quelles sont ces spécificités qui formulent l’outil
Internet ? Et surtout, comment Internet peut-il entrer dans le champs de l’art et de la
création au même titre que tout autre médium ?
L'examen des processus de légitimation du net-art nécessite, en préalable, l'étude
de ses fondements esthétiques, de ses spécificités et de ses enjeux. Cette étude cherche à
établir les spécificités des propositions artistiques consultables sur Internet, par rapport aux
autres productions numériques. Si dans un premier temps, l'accueil réservé au net-art
feignait l'ignorance, les instances de légitimations doivent aujourd'hui composer. La force
de l'impulsion artistique numérique oblige les acteurs à remettre en cause leurs certitudes,
leurs perspectives et à construire un nouveau régime, capable de prendre en compte les
évolutions suggérées par le numérique et de fait par le net-art. Le net-art, qui est construit
sur un média, permet de créer et de diffuser quasiment en même temps. Ainsi les artistes,
en expérimentant eux même de nouvelles relations au public, accélèrent le processus.
Créant leurs propres réseaux de diffusion, se regroupant contre les intermédiaires
qui leur font parfois défaut, les nets artistes tentent d'écrire de nouvelles façons de
fonctionner, d'exister, d'élargir le champ de l'art.
17
Il existe pourtant peu de documentations sur ces créations. Nous verrons plus loin ce qui
explique cela. Comment alors reconnaitre ces oeuvres ? A nous de nous créer notre état des
lieux du net-art, de regrouper les éléments existants trouvés au fil de nos recherches, de
nos lectures, de nos rencontres, pour recouper des informations et nous créer une
articulation, notre articulation critique et historique.
1. Panorama critique historique et enjeux
Il s'agit ici d'étudier l'émergence de la création sur Internet et de son discours
critique, d'analyser la construction, l'évolution de ce nouveau média de ces débuts à
aujourd’hui, pour plus tard rendre compte de la perspective dans laquelle les acteurs
culturels ont souhaité légitimer le net-art.
Le net-art reste un pan de la création méconnu sur le marché de l'art
contemporain. Peu d'études scientifiques ont été menées pour caractériser, catégoriser et
évaluer ces différentes pratiques. Cependant quelques articles, textes et document font
l’exception, tentant d'approcher le net-art. Mais ceux-ci restent très généraux, et ont
souvent bien du mal à le définir, préférant le ranger dans la catégorie encore plus large de
l’art numérique, évitant ainsi de rentrer dans les détails. C'est d’ailleurs pourquoi la
constitution de cet art reste difficile à cerner, car il demeure encore, pour le moment, un
objet construit par de multiples partis pris et des tentatives définitionnelles qui viennent
d’horizons différents. Comme rien n’est encore strictement défini, ni arrêté, chacun se
permet sa définition, avec son utilisation propre. Nous verrons que ce flottement est aussi
dû à sa fabrication, dû à des échanges entre artistes, informaticiens et scientifiques.
Comment cerner ce champ artistique en constante redéfinition et évolution ?
Bouleversant les codes esthétiques et philosophiques contingents à la création
contemporaine, le net-art semble émerger de nulle part. Pourtant, nous verrons que par
son essence, il donne un second souffle à nombre de problématiques artistiques du XXe
siècle, tout en amorçant une certaine rupture que le numérique et la dématérialisation des
oeuvres ont provoqué.
18
Nous aborderons les réinterprétations constantes que l’apparition de ces outils dans l’art
ont apporté, afin de comprendre selon quelles perceptions, quels éclairages et discours le
net-art commence à apparaître au public.
L'étude préalable de l'articulation historique du net-art nous permettra
certainement de mieux définir cette création, puis d'en saisir ses caractéristiques et ses
enjeux.
1.a. L’utilisation des TIC dans l’art
Depuis toujours, la science et la technologie ont influencé le domaine artistique.
Cette relation entre art et technique, qui a dominé durant la Renaissance, refait surface
aujourd’hui avec le numérique, et bien plus peut-être avec Internet.
L'apparition du net-art n'a pas été le fruit d'une révolution brutale, elle est le résultat d’un
processus évolutif que connaît l’histoire de l’art, conjugaison d’histoires, d’art, des
développements des technologies, du développement de l’ensemble des pratiques
artistiques reposants sur ces médias techniques, et de la société elle-même. Nous
retrouvons de nombreuses utilisations des différents outils de communication dans l’art,
tout au long de l’évolution rapide de ces hyper médias. Il nous faut revenir, assez
rapidement car là n’est pas notre propos, sur l’utilisation des téléphones, de la TV, du
Minitel, de l’ordinateur, avant de parler d’art sur Internet.
Nam June Paik, TV Buddha, 1974.
Installation vidéo avec sculpture en bronze, écran noir et blanc et camera,
dimensions variables.
Stedelijk Museum, Amsterdam.
Gary Hill, Inasmuch As It Always Already Taking Place, 1990.
Ecrans cathodiques, système audio-vidéo. 41x137x167 cm.
Vue de l’installation au Musem of Modern Art, New York, 1990-91.
Court. Donald Young Gallery, Chicago.
19
Pour une utilisation artistique du téléphone, il faut remonter aux origines mêmes :
Alexander Graham Bell, dès 1879, employait son invention pour transmettre la musique
d'une scène de New York à une maison de Yonkers. A Paris, en 1881, une salle pourvue de
vingt récepteurs téléphoniques permettait à quatre mille personnes par jour d'entendre
quelques minutes d'oeuvres transmises en direct de l'Opéra8. Il a fallu l'exposition Art by
Telephone9?
Les artistes ont également utilisé la radio en tant que « nouvel espace acoustique
capable de susciter à distance des images mentales »
organisée par le Musée d'Art Contemporain de Chicago en 1969, pour voir
plusieurs artistes construire des dispositifs exploitant le potentiel interactif de ce medium.
Robert Huot par exemple proposait aux visiteurs de téléphoner, dans vingt-six villes, à
vingt-six hommes prénommés Arthur ("Art") pour une conversation improvisée, espérant
créer des rencontres inattendues en s’appuyant sur le hasard et l’anonymat.
10
8 ARONSON, Sidney, "Téléphone et société" in Réseaux, C.N.E.T., n°55, Paris, 1992, p.18-19.
COSTA, Mario, "Technologie, production artistique et esthétique de la communication" in Art Press N°122,
février 1988, p.11.
9 Art by Telephone, du 1er novembre eu 14 décembre 1969, Musée d’Art Contemporain de Chicago.
10 O’ROURKE, Karen, « Art, réseaux, télécommunications », in Mutations de l'image : Art Cinéma/ Vidéo/
Ordinateur, Astarti, Paris, 1994, p.52-57.
. En 1951 par exemple, il était
possible d’entendre l'Imaginary Landscape n°4 de John Cage, joué par douze radios réglées
sur des fréquences différentes.
La vidéo fait son apparition dès les années soixante en tant qu’expression
artistique, avec l’utilisation des téléviseurs. En 1959, dans le cahier de notes de George
Brecht, on trouve l’ébauche d’une Television piece, assemblage de neuf téléviseurs en
marche, formant ce que nous appellerions aujourd’hui un mur vidéo. Dès les années 1962,
Nam June Paik, artiste sud coréen, entreprend de faire des expériences avec des tubes
cathodiques de téléviseurs. C’est en 1963 qu’il expose les résultats de ses premières
recherches à la galerie Parnass de Wuppertal, en Allemagne. Les installations de Nam June
Paik dans les années 60, de Gary Hill dans les années 70, ou de Bill Viola dans les années 90
font depuis références.
En France, les artistes furent parmi les premiers à employer le Minitel, mis en vente
à partie de 1980, comme support de réalisation ou de diffusion pour des oeuvres. Fred
Forest présente La bourse de l’imaginaire en juin 1982 au Centre Georges Pompidou.
Michael Noll, Selected frames from movie of the three-dimensional projection of a
rotating four dimensional hypercube, 1960.
© A.Michael Noll
Frieder Nake, Klee, plotter drawing, encre sur papier, 1965.
20
Durant cinq semaines, cette bourse a pour objectif de tester les potentialités créatives du
public dans une situation d’interaction. Son dispositif vise à instaurer un vaste jeu
d’échange et de création de « faits divers » à l’échelle nationale. Des équipements de
communication divers sont mis en scène : batteries de lignes téléphoniques, répondeurs
automatiques, télex d'agences de presse, télécopieurs, photocopieurs, régie vidéo,
installations radio, cimaises d'exposition, etc. En 1984, Jacques-Elie Chabert11? propose un
roman interactif à options multiples sur l’écran du Minitel. En 1987, Jean-Claude Anglade12?
Dès les années soixante, les artistes se sont intéressés à l’outil qu’est l’ordinateur.
La revue Computer and Automation organise déjà en 1963 un concours de dessins réalisés
par ordinateur. Cet épisode a été déterminant selon de nombreux théoriciens comme
Edmond Couchot
imagine une création de lumière à Marne-la-Vallée, qui intègre la participation des
habitants, à partir d’un usage citoyen du Minitel.
13, car les critères de sélection n’étaient plus seulement mathématiques
ou techniques, mais surtout artistiques. La toute première génération de l'art sur
ordinateur, que nous appellerions aujourd’hui art numérique, était composée
essentiellement des artistes Frieder Nake, Georges Nees et Michael Noll, qui font de l’art
« programmé ». Ils utilisaient pour leurs premières recherches des logiciels basés sur le
principe du hasard, principe théorisé en 1971 par Abraham Moles dans son ouvrage Art et
Ordinateur14?
11 CHABERT, Jacques-Elie, Vertiges, 1984.
12 ANGLADE, Jean-Claude, Image la vallée, 1987.
13 COUCHOT, Edmond et Norbert, HILLAIRE, L’art numérique, Flammarion, Paris, 2003.
14 MOLES, Abraham, Art et Ordinateur, Paris, Casterman, 1971.
. Ces oeuvres aléatoires, « permutationnelles » selon le terme du théoricien,
permettaient aux artistes d'expérimenter leurs formes dans un champ infini de possibles.
Manfred Mohr systématise, de son côté, l’idée de série. Il est le premier à théoriser, en
plasticien, les rapports de la création artistique et de l’ordinateur. Il travaille avec un
langage de programmation pour la conception de ses oeuvres, et fait la première exposition
personnelle d’oeuvres calculées et créées par un ordinateur dans un musée : « une
esthétique programmée », durant un ARC du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris du
11 mai au 6 juin 1971. D’autres chercheurs, comme Hervé Huitric et Monique Nahas,
s’intéressent à la couleur et à son algorithmisation.
21
C’est vers la fin de cette décennie, parallèlement à l’évolution de ces outils de
communication, que les artistes ont commencé à exploiter systématiquement les
possibilités interactives des télécommunications, alors en plein essor, mettant sur le devant
de la scène la notion de dispositif15. Dès les années soixante-dix se sont développés un art
et une culture qui rebondissent de satellite en satellite, autour du monde, abolissant toutes
les frontières. En 1977, ce sont Kit Galloway et Sherrie Rabinowitz16? qui inventent un
dispositif permettant aux participants, quoique situés respectivement sur les côtes
Atlantique et pacifique des Etats-Unis, de danser « ensemble ». Par images interposées, ils
sont réunis sur un même écran. La même année, Douglas Davis, en collaboration avec Nam
June Paik et Joseph Beuys réalisent à la Documenta VI de Cassel une émission17 retransmise
en direct par satellite dans plus de trente pays, au cours de laquelle Douglas Davis s’efforce
de « traverser » l’écran de télévision pour toucher les autres acteurs. Ces métaphores
visuelles sont rendues possibles par des artifices techniques : les images captées dans des
lieux différents sont ensuite juxtaposées et couplées sur le même écran, permettant de voir
les protagonistes superposés et confondus. En 1983, Roy Ascott crée à l’occasion de
l’exposition Electra au Musée d’art moderne de la ville de Paris, un dispositif reliant
quatorze villes de plusieurs continents18. Les années quatre-vingt-dix sont principalement
marquées, du point de vu technique, par un développement accéléré de ce que l’on
nommera l’interactivité, avec la réalité virtuelle et ses dérivés, le multimédia et les réseaux
de communication informatique. Les ordinateurs sont encore inaccessibles par leur taille et
leur coût. Pourtant, ces nouvelles techniques, qui font naître la notion d’interaction,
séduisent les artistes. On parle alors de participation du spectateur. Des artistes comme
Edmond Couchot, Yaacov Agam, et Myron Krueger, construisent les premiers dispositifs,
qui réagissent par la lumière aux sons ou aux mouvements19. Un peu plus tard, Piotr
Kowalski réalise une installation20
15 Les arts interactifs ont existé bien avant les ordinateurs. Nous pensons notamment aux sculptures de Nicolas
Schöffer et à l’art cinétique dans les années 1950, mais ces travaux n’utilisent pas des TIC.
16 GALLOWAY, Kit et Sherrie RABINOWITZ, Satellite arts project, 1977.
17 DAVIS, Douglas, PAIK, Nam June, et BEUYS, Joseph; Documenta VI Satellite telecast, 1977.
18 ASCOTT, Roy, The pleating of the text : a planetary fairy tale, 1983.
19 Par exemple :
COUCHOT, Edmond, Sémaphora III, entre 1965 et 1973.
KRUEGER, Myron, Vidéoplace, 1974.
AGAM, Yaacov, Fiat lux, 1967.
20 KOWALSKI, Piotr, Time machine, 1981.
où le spectateur intervient en temps réel.
22
En 1982, Tom DeWitt? met au point un dispositif interactif sur écran21. Ces démarches sont
théorisées par le Groupe International de l’Esthétique de la communication, fondé en 1983
par Mario Costa et Fred Forest, qui sont à l’origine de nombreux textes théoriques qui
définissent cet art « de l’esthétique de la communication » : « Si l’oeuvre d’art ne se définit
pas par l’outil, sophistiqué ou non, qu’elle utilise, la démarche artistique consiste
néanmoins à chercher à inventer et à imposer des modèles, des formes, des systèmes, des
concepts en parfaite adéquation de sens avec notre environnement sociétal,
communicationnel et technologique »22
Il semblerait que bien avant qu’Internet ne soit devenu accessible à tout un chacun,
les artistes révélaient déjà une sorte d’intuition en mettant en application les concepts qui
constitueront la spécificité de la création sur Internet. Ils utilisent pour réaliser leurs
oeuvres fax, Minitels ou micro-ordinateurs, parfois reliés en réseau. Pour la plupart d'entre
eux, un point de ralliement: « la conviction que la communication construit le réel autant
qu'elle le décrit ».
. Les dispositifs, installations, oeuvres d’art sont
pour eux des moyens d’améliorer la communication.
23
21 DE WITT, Tom, Pantomation system, 1982.
22 FOREST, Fred, Art et Internet, Paris, Editions Cercle d’Art, 2008.
23 O’ROURKE, Karen, opus cité.
Certains mettent en scène la communication dans des performances ou
des installations éphémères. Il s'agit pour eux de créer des événements où la présentation
(même médiatisée) prime sur la représentation.
D'autres, au contraire, utilisent ces technologies pour réaliser ou pour diffuser des
représentations (images, textes, sons) au sein d'un réseau télématique. D'autres encore
cherchent plutôt à provoquer des situations de communication entre personnes éloignées,
entre artistes et publics dispersés. Un quatrième groupe s'emploie à construire des
dispositifs interactifs où le spectateur devenu utilisateur communique avec une machine.
Enfin quelques-uns vont jusqu'à créer des machines qui communiquent entre elles.
Existe-t-il pour autant un art spécifiquement numérique?
23
Avec l’avènement d’Internet, les artistes ont tout aussi naturellement investi ce
réseau planétaire, tissé par les relations entretenues entre ordinateurs et les liens reliant
leurs contenus, permettant une connectivité mondiale. Le net-art est l’alliance de deux
grands progrès technologiques de la seconde moitié du XXe siècle: l’informatique et la
télécommunication, plus communément nommés TIC, technologies de l’information et de
la communication. Sans développer l’historique de ce réseau des réseaux, il est cependant
nécessaire de savoir que c’est dès 1957 que le ministère de la Défense américain crée
l’Agence pour les projets de recherche avancée (ARPA), dans le but déclaré de mettre au
service de l’armée des moyens scientifiques de télécommunications. Rapidement, les
universitaires se l’approprieront pour communiquer plus aisément. Le 6 août 1991, Tim
Berners Lee rend publique son invention du World Wide Web qui sera mis en circulation à
partir de 1993 grâce au navigateur Mosaic, supplanté en 1994 par Netscape Navigator. Dès
lors, Internet séduit le monde des entreprises, et les artistes commencent à l’investir. Grâce
aux navigateurs (comme Internet Explorer), le réseau a pris une expansion considérable, et
il est aujourd’hui accessible à tous. Comment fonctionne-t-il ? Internet est un réseau
informatique mondial constitué d’un ensemble de réseaux nationaux, régionaux et privés,
qui sont reliés par un protocole de communication et qui coopèrent dans le but d’offrir une
interface unique à leurs utilisateurs, à partir de n’importe quel poste dans n’importe quel
pays. En effet l'ambition d'Internet s'exprime en une phrase, relier entre eux tous les
ordinateurs du monde, par un système mondial d'échange de documents électroniques
(textes, fichiers, images, sons et séquences audiovisuelles). Au premier septembre 2008 en
France, 68% des ménages possèdent un ordinateur, 62% d’entre eux ont un accès à
Internet, et 32,3 millions de personnes y sont connectées. Ce qui nous amène vers 19,7
millions d'abonnés au réseau Internet en France en mars 2010. Le réseau Internet est
composé de nos jours de plus de 65 millions d'ordinateurs dans plus de 100 pays.
24
Merveilleux outil de connexion à la société pour les artistes. Comment l'ont-ils
investi? En préambule, nous souhaitions mettre en parallèle les contextes historiques, afin
d’illustrer dans quelles conditions l’hypothèse d’un art d’Internet a pu éclore. Maintenant
que nous l'avons replacé dans le contexte couplé de l'art et des technologies de
l'information et de la communication, il est possible de le situer dans une évolution de
l'histoire de l'art contemporain. Nous examinerons ensuite, dans une perspective plus
large, à quelles spécificités le net-art peut prétendre, et comment.
1.b. Le « net.art » se manifeste
Pour autant que l’on puisse déjà donner une histoire du net-art, celle-ci est brève,
avec des étapes visiblement marquées, et donne lieu à de nombreux débats de paternité et
de primauté. Pour comprendre il faut se replonger encore une fois dans le contexte, celui
de son incubation et de sa maturation. Nous sommes dans les années 1993, les premières
manifestations du net-art coïncident au moment de bascule où Internet évolue pour être
utilisé par toutes sortes d’acteurs dans la société, et plus seulement par la défense ou la
recherche. Internet est investi par les particuliers et les entreprises commerciales, entre
autres, et acquiert une autre dimension.
Tous ces nouveaux outils de communication vont donner des moyens aux artistes, qui vont
en profiter pour livrer sur le net des actions qui se voudront artistiques.
« Net.art » est le terme le plus souvent employé pour décrire les pratiques
artistiques des pionniers sur Internet, entre 1994 et 2001. Il désigne ainsi une période
particulière de l'art Internet : « la période héroïque »24
24 « Miniatures of the heroic period » pour la galerie en ligne Art.teleportacia
http://art.teleportacia.org/exhibition/miniatures/
, selon l'exposition en ligne du même
nom organisée par Olia Lialina, net-artiste russe. Comme le souligne également la critique
25
Josephine Bosma : « au moment où le terme net.art est apparu, il n'y avait pas de
terminologie commune pour l'art créé avec ou dans l'Internet, même si des projets en ligne
existaient déjà depuis longtemps. L'art créé avec Internet était simplement appelé art
médiatique ou art électronique, des termes qui ne couvrent pas les questions de réseau.»25
La paternité du néologisme « net.art » revient à Pit Schultz, fondateur de la mailing liste
Nettime
Effectivement, comme nous l'avons vu plus en avant, la question de vocabulaire, pour
toutes les formes d'art numérique, reste encore une priorité de définition à éclaircir.
26 qui voit le jour au printemps 1995, lors de la Biennale de Venise. Les premiers
échanges artistiques se font par emails ou via des forums de discussions, notamment à
l'aide de cette première liste de diffusion permet de former des groupes et des réseaux qui
faciliteront les échanges. Ces échanges ont permis de mettre en avant les pionniers du netart,
Vuk Cosic, originaire de Slovénie, Alexeï Shulgin, Olia Lialina, et Lev Manovitch, de
Russie, Heath Bunting d'Angleterre, et Jodi, duo constitué de la néerlandaise Joan
Heemskerk, et du belge Dirk Paesmans, qui travaillent entre Barcelone et les Pays-Bas.
L’hétérogénéité relative des artistes qui échangent est à prendre en compte, elle illustre
très bien l'abolition des frontières permis par le net, les artistes peuvent échanger et
diffuser sans aucune contrainte de distance géographique. Vuk Cosic propose en 1996
d'organiser une conférence intitulée « Persée », prétexte à une rencontre physique. Très
vite relayé par les artistes dans leurs échanges, le mot net-art est souvent attribué à Vuk
Cosic, il sera rendu célèbre par le manifeste de Natalie Bookchin et Alexeï Shulgin
Introduction to net.art (1994 - 1999)27
Ce manifeste nous parait essentiel dans l'histoire du net-art, car même si pour un
certain nombre d'observateurs il n'est rien de plus qu'une pièce restituée, ce texte pointe
pour nous le désir des artistes à se regrouper, à se définir comme un mouvement et à
décrire leurs formes artistiques. Point de départ historique, ce manifeste affirme le net-art,
qui se déclare et s'exprime. Publié sous la forme d'un plan détaillé en ligne, il ne met en
avant aucun signalement artistique, il est en dehors de toute représentation. Cet aspect
banalisé, bien évidemment voulu, décrit avec dérision l'émergence du net-art, mais surtout,
daté du printemps 1999.
25 Josephine Bosma, The dot on a Velvet Pillow, 2003, consulté en ligne en novembre 2009 sur:
http://laudanum.net/cgi-bin/media.cgi?action=display&id=1049201385
26 Première liste de diffusion dédiée au net-art, www.nettime.org
27 Traduction Française : Annick Bureaud et Nathalie Magnan (sous la direction de), Connexions : art, réseaux,
médias, Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2002, p 31 à 35. L'oeuvre originale (en anglais) est
accessible en ligne sur: http://www.easylife.org/netart/
Natalie Bookchin et Alexeï Shulgin, Introduction to net.art, mars-avril 1999,
capture écran du site internet : http://www.easylife.org/netart/
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annonce la couleur. Malgré la question de terminologie (net.art ou net-art), C’est ce
manifeste, qui apparait à la naissance du mouvement, qui va nous donner les spécificités du
net-art, en énonçant les objets et leurs qualités. A travers l'étude du vocabulaire, nous
retrouvons l'esprit des net-artistes et les qualités des oeuvres qui seront mises en avant par
la critique bien plus tard.
Le texte est en anglais, langue souveraine en informatique et sur Internet. Le netart,
décrit en un coup d’oeil, est pour eux le « modernisme suprême ». Pourquoi,
qu'entendent-ils par là? Selon la légende, le terme net-art s'est presque crée par lui-même,
comme une autodéfinition, par un accident et le mauvais fonctionnement d'un logiciel au
cours d’échanges sur le net.
Dès les premières phrases, les paradoxes des oeuvres sur le net se font sentir. Nous
palpons une certaine rébellion, une mise en marge des artistes, exprimée par un ton
cynique. Néanmoins cela n'empêche pas les artistes d'être lucides sur leur pratique
artistique. Même si ils ont la volonté de se tenir indépendants de toutes institutions, cela
ne signifie pas pour eux se tenir dans un univers secret, coupés du monde de l'art. Les netartistes
ont conscience que le réseau Internet est une formidable annonce, mais que toutes
les offres sont contigües: la distance entre les genres sont brouillés par le fonctionnement
même d’Internet. Le net-art cherche à démolir des disciplines et des classifications qui sont
pour eux démodées, tout en restant autonome. En gros, 0% de compromis, notamment
donc en maintenant son indépendance des « bureaucraties institutionnelles », mais en
« travaillant sans marginalisation et en réalisant une audience, du dialogue et de
l’amusement ». Programme plutôt chargé, qui peut paraître idéologique me direz-vous. Ils
s'en expliquent dans tout le reste du manifeste, ils sont même très précis sur la marche à
suivre. Avec anarchie et spontanéité, à l’image de TAZ28
28 BEY, Hakim, Zone Autonome Temporaire, éditions de l'éclat, Paris, 1997.
, leur but
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