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Texte paru en français dans la revue MDC consacré au futur de la monnaie et en anglais sur le site de la P2P foundation.
Ce texte est publié sous Licence Art Libre. La crise financière globale a fait émerger quantité de monnaies alternatives, qui tentent de générer un nouvel écosystème. En tant qu’agents de ces mutations, nous sommes le plus souvent en position de « sélectionnés » selon les critères de sélection darwiniens, laissant le soin aux réseaux de façonner notre imaginaire et nos jugements. Le présent manifeste avance que « nous pouvons choisir de nous placer en tant que “sélectionneurs” ». Voici comment. PDF de ma conférence à l'INRIA dans le cadre le FOSSA2014 My talk (in english) : aP2PmoneyManifesto - - - (un) manifeste pour une alternative monétaire P2P OlivierAuber, le 8 septembre 2014. Alors que le système monétaire mondial semble se disloquer de toutes parts, les modèles monétaires alternatifs(1) pullulent telles des générations spontanées d’espèces quasi-vivantes proliférant sur le terrain de nos échanges. On sait que ces modèles se combineront entre eux, muteront ou disparaîtront pour établir finalement un nouvel écosystème. Pour tenter d'accélérer la transition vers un modèle monétaire durable dans lequel les hommes pourront se reconnaître entre pairs, le présent manifeste propose aux acteurs de la mutation que nous sommes, non pas de nous laisser sélectionner par ces modèles suivant notre capacité à nous y conformer, mais de nous comporter en sélectionneurs, c’est-à-dire de leur appliquer des critères de sélection darwiniens. Explosions de codes La première explosion de « codes » est nommée « abiogénèse » : c’est le passage d’un monde sans biologie à un monde biologique. Chaque être vivant (procaryotes, eucaryotes, métazoaires) est défini par un code régissant sa forme et sa reproduction. La plupart des espèces apparues lors de l’abiogénèse ont disparu ou muté, tandis qu’un petit nombre a proliféré. La deuxième explosion de « codes » a été nommée récemment (2) « atechnogénèse » : c’est le passage d’un monde sans technologie à un monde avec. On peut faire remonter l’atechnogénèse à l’apparition du genre Homo, c’est-à-dire à l’irruption d’un protolangage chez certains hominidés. Le catalyseur de cette deuxième explosion de codes, non plus biologiques, mais symboliques, aurait été selon certains chercheurs (3), l’invention des armes, bien avant celle du feu. L’arme dans sa version la plus préhistorique aurait rendu brutalement obsolète l’ordre social basé sur la domination physique propre aux hominidés, car elle leur aurait permis de tuer leurs semblables sans trop de risque. Brutalement l’ordre entre dominants et dominés basé sur la force physique, se serait brisé et cette crise politique aurait imposé à l’espèce un immense stress. Les individus présentant des comportements adaptés auraient été sélectionnés, à savoir ceux qui se sont montrés capables à la fois de repérer des faits saillants dans l’environnement et de les communiquer à leurs congénères, par un geste de la main, une vocalisation, plus tard par un langage de plus en plus articulé. Le langage aurait été ainsi la Stratégie Évolutionnaire Stable (4) permettant de détrôner la force brute pour devenir l’élément moteur de notre organisation sociale. La monnaie comme arme Les armes ont continué à co-évoluer avec notre langage, et la plus raffinée d’entre elles - car invisible et essentiellement d’ordre logique -, est sans doute la machine infernale de la monnaie et du capital. La monnaie, avec le code source que nous lui connaissons, forgé depuis 5000 ans (5), est une machine à concentrer le capital, qui lui-même est investi prioritairement dans des moyens de concentrer la monnaie. Cette boucle tautologique, offensive ou dissuasive suivant les cas, institue notre ordre social. Cependant, l’ordre monétaire semble se craqueler depuis peu : le capital - traditionnellement vu comme l’accumulation des stocks et des moyens de production–, se dématérialise soudainement sous la forme de valeurs économiques et symboliques complexes, de robots et d’intelligences artificielles travaillant automatiquement pour leur propre puissance. Cette concentration exponentielle laisse autour d’elle de vastes zones désertiques, où la monnaie comme les autres valeurs économiques et symboliques y sont maintenues sous perfusion. Le code carnivore de la monnaie, fondé sur son mode de création par la dette, apparaît donc de plus en plus comme un bug conduisant inéluctablement à l’autodestruction du système quasi-vivant qu’il a engendré. Ainsi, tout se passe comme si l’emballement de cette tautologie rendait brutalement obsolète l’ordre social basé sur la maîtrise du langage, car elle permet à une sorte de machinerie de tuer sans risque nos semblables – sans discernement -. À tel point que notre espèce semble aujourd’hui soumise à un stress politique comparable à celui qui avait conduit à l’invention du langage. En réponse, des codes monétaires alternatifs voient le jour. Ils sont, n’en doutons pas, autant d’armes capables de faire émerger un nouvel ordre social. Parmi eux, se cache notre nouvelle Stratégie Évolutionnaire. Comment la détecter, la construire, la sélectionner ? Perspectives anoptiques Pour nous aider, on peut tenter d’observer un fait passé relativement inaperçu depuis le début de la Révolution Industrielle, plus particulièrement depuis l’émergence des télécommunications : c’est l’irruption de deux nouvelles « perspectives (6) » analogues à la « perspective spatiale » qui avait marqué le passage du monde hiérarchisé du Moyen-âge à celui géométrisé de la Renaissance. En effet, les réseaux sur lesquels circulent toutes les valeurs économiques et symboliques, peuvent fonctionner selon deux architectures, - centrée ou acentrée - , qui réalisent des formes de construction « en perspective » trouvant comme point de fuite, dans le premier cas, un centre physique (un serveur par exemple), dans le deuxième, un « code » ; celui sous couvert duquel les agents présents dans le réseau échangent (c'est leur signe de reconnaissance en quelque sorte). Dans le premier cas, on peut parler d'une « perspective temporelle » (PT) car c'est au centre (point de fuite temporel) qu'émerge instant après instant le temps propre du réseau rythmé par l’interaction de ses membres. Dans le deuxième cas, il s’agit d'une « perspective numérique » (PN) car c'est bien un « code » numérique arbitraire (un code de fuite), - la monnaie par exemple - qui est le garant de l'émergence du temps propre du réseau en chacun de ses nœuds. Le plus souvent, à notre insu, nous construisons, percevons et évaluons grâce à ces deux perspectives les réseaux sur lesquels prolifèrent les espèces quasi-vivantes citées plus haut. À notre insu, car contrairement à la perspective spatiale qui était principalement d’ordre optique, ces nouvelles perspectives sont « anoptiques », c’est-à-dire non-optiques : elles s’adressent non plus seulement à nos yeux, mais à notre cognition toute entière. Ces deux nouvelles perspectives partagent nombre d'attributs topologiques et symboliques avec la perspective spatiale, notamment on peut aussi parler à leur égard de « construction légitime », tout comme Alberti (7) le fît à la Renaissance. Refonder la légitimité à l’heure des réseaux. En tant qu’agents des réseaux structurés par ces perspectives, nous sommes le plus souvent placés dans une position de « sélectionnés », leur laissant le soin de façonner notre imaginaire et nos jugements. Par contre, en prenant conscience de l’existence de ces perspectives et en interrogeant leur légitimité, nous pouvons choisir de nous placer en tant que « sélectionneurs » des espèces quasi-vivantes qu’elles instituent et dont nous faisons partie. Le présent manifeste propose à la discussion trois critères permettant à tout agent d’évaluer la légitimité d’un réseau quelconque dans lequel il s’insère :
Notons que ces trois critères proposent une reformulation adaptée aux réseaux de principes anciens et un peu oubliés, par exemple ceux de République Française : « LIBERTE – EGALITE – FRATERNITE ». Ainsi, ce manifeste se situe dans la lignée de nombreuses autres tentatives de l’Humanité pour entrer dans une ère où la prédation n’aurait plus cours. Cette nouvelle ère pourrait être appelée « aethogénèse » (d’un monde sans éthique à un monde avec). Avec l’aide de chacun, elle donnerait lieu à une nouvelle explosion de « codes » respectant les êtres de toutes les espèces, à commencer par la nôtre. A titre d’exercice, chacun pourra tenter, dans le cas de certains réseaux, de distinguer s’ils relèvent d’une Perspective Temporelle (PT) ou bien d’une Perspective Numérique (PN), et de les soumettre aux critères de légitimité proposés. On verra par exemple que Facebook est une PT qui ne répond pas au critère AB (son créateur Mark Zuckerberg n’est pas traité comme n’importe quel agent A ou B), tandis que Wikipédia (PT) y répond assez bien. On verra que le réseau monétaire défini par l’Euro est une PN qui ne répond pas, ne serait-ce qu’au critère A (il est quasi impossible de ne pas échanger en Euros dans la zone économique défini par cette monnaie). On verra qu’une plateforme d’échange boursier (le NYSE par exemple) est une PT qui ne répond à aucun des critères car elle donne la part belle à des agents de type Intelligence Artificielle (Trading Haute Fréquence) que les agents humains ne peuvent reconnaître comme pairs. Enfin, les modèles monétaires alternatifs en cours d’émergence sont pour la plupart de type PN. Chacun pourra constater que Bitcoin est très loin d’être légitime (un A présent n’est pas traité comme un B futur car Bitcoin donne la part belle aux premiers entrants). On verra pour finir que d’autres modèles sont proches de devenir légitimes, notamment ceux fondés sur un Dividende Universel (8). (notes) 1) Bitcoin, IEML, Ethereum, MaidSafe, OpenUDC, Ucoin, les monnaies complémentaires, les hypothétiques monnaies Facebook ou Google, l’étalon Or, etc. 2) Cadell Last : « Deep Future of Big History », 2014. http://theadvancedapes.com/deep-future-of-big-history/ 3) Jean-Louis Dessalles : « Why talk ? », 2014, in D. Dor, C. Knight & J. Lewis (Eds.), The social origins of language, 284-296, Oxford, UK: Oxford University Press. http://perso.telecom-paristech.fr/~jld/papiers/ 4) http://fr.wikipedia.org/wiki/Stratégie_évolutivement_stable 5) David Graeber : « Dette, 5000 ans d’histoire », 2013, Les Liens qui Libèrent (L.L.L. Ed.) 6) Olivier Auber : « Du Générateur Poïétique à la Perspective numérique » http://fr.wikipedia.org/wiki/Générateur_Poïétique 7) Leon Battista Alberti : http://fr.wikipedia.org/wiki/Leon_Battista_Alberti 8) Théorie Relative de la Monnaie : http://creationmonetaire.info Olivier Auber est artiste et chercheur indépendant, membre du groupe de recherche de la P2P foundation, affilié au laboratoire Evolution, Complexity and COgnition (ECCO) de la Free University of Brussels (VUB) et au Global Brain Institute. - - - Petit exposé en avant première à NUMA Paris My tak at FOSSA2015
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